Carbonneau passera de l’ombre à la lumière
Canadiens vendredi, 15 nov. 2019. 10:40 lundi, 18 nov. 2019. 11:13SECTION SPÉCIALE GUY CARBONNEAU
RDS2 et RDS Direct présenteront le discours d'intronisation de Guy Carbonneau vers 21 h 30, lundi soir.
TORONTO - Après avoir tenté de lui échapper sur la patinoire afin de marquer et de récolter les buts et les points qui leur ont permis de marquer l’Histoire de la Ligue nationale de hockey, Wayne Gretzky, Mario Lemieux, Peter Stastny et les autres grands joueurs à qui Guy Carbonneau a compliqué la vie, l’accueilleront lundi aux portes du Temple de la renommée.
Couvreur infatigable de ces grandes vedettes au cours de sa carrière de 19 saisons dans la LNH, l’ancien capitaine du Canadien partagera enfin, 19 ans après l’annonce de sa retraite, les mêmes projecteurs que ses victimes d’antan.
Il passera alors de «l’ombre à la lumière» comme l’a si bien illustré le titre de la biographie consacrée à un autre très grand du Canadien de Montréal : Guy Lafleur.
Bon! Avec ses trois coupes Stanley, ses trois trophées Selke – il a terminé cinq autres fois au sein du top-5 dans la course au titre de meilleur attaquant défensif de la LNH – son différentiel de plus 186 qu’il a maintenu en 1318 rencontres en carrière et le fait qu’il a aidé ses équipes à atteindre les séries 17 fois en 19 saisons, Carbo n’a jamais vraiment été tapis dans l’ombre.
Je veux bien. Mais pour qu’un gars qui n’a marqué que 260 buts et récolté 663 points en près de 20 ans de carrière voit malgré tout les portes du Temple de la renommée s’ouvrir devant lui, il faut que son travail dans l’ombre ait été... éclatant.
Et il l’était.
Que ce soit dans le cadre des duels épiques qui l’ont opposé à Peter Stastny au plus fort de la guerre entre le Canadien et les Nordiques, entre Montréal et Québec, entre les buveurs de Molson et de O’Keefe, que ce soit en grande finale au printemps 1993 alors qu’il a demandé à son coach de l’époque Jacques Demers de lui confier le mandat de surveiller Wayne Gretzky afin de minimiser les dégâts causés par la Merveille, un défi que Carbonneau a relevé avec brio contribuant ainsi à la 24e et dernière conquête de la coupe Stanley du Canadien, que ce soit dans les cadres de simples matchs de saison régulière, «Carbo» a toujours pris très au sérieux les mandats défensifs qu’on lui confiait.
Et il les a presque toujours remplis avec succès.
Avoir l’œil et de la mémoire
Longtemps avant qu’on ne se mette à compiler des statistiques avancées, à disséquer les bandes vidéo des parties pour créer des banques d’informations compilées dans des ordinateurs afin d’établir les stratégies des équipes et les tendances de leurs joueurs vedettes, le meilleur centre défensif de la LNH de son époque comptait déjà sur une arme secrète :
Son œil!
«J’ai toujours été un gars visuel. Je suivais toujours le jeu lors des matchs que ce soit du banc ou sur la patinoire. Je remarquais des choses et j’en parlais beaucoup avec Bob – Bob Gainey – et Chris – Nilan – qui étaient mes compagnons de trio afin de vérifier mes observations et obtenir leurs points de vue. Wayne, Mario, Peter Stastny, Steve Yzerman étaient les meilleurs joueurs de la Ligue pour des raisons spécifiques. Ils étaient capables de faire des choses que les autres n’arrivaient pas à faire. C’était impressionnant à voir, mais en même temps ça te marquait comme joueur. Il fallait juste s’en rappeler pour les fois d’après», explique Carbonneau lorsque je lui demande de lever le voile sur les armes qui lui ont permis de rivaliser avec les grands joueurs qu’il a affrontés au cours de sa carrière.
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Et où gardait-il précieusement les informations ainsi colligées sur les Gretzky, Lemieux, Stastny, Messier et autres Lafontaine?
Parce qu’on était encore bien loin des tablettes que les joueurs s’échangent une fois de retour au banc afin de les consulter entre deux gorgées d’eau pour être en mesure de mieux performer lors de la présence suivante, il fallait sans doute se rabattre sur un calepin de notes.
«Pas vraiment», que Carbonneau lance un brin gêné.
«Je gardais tout ça dans ma tête et j’allais piger dans mes souvenirs lorsque je me préparais à affronter tel gars ou tel autre au fil de la saison. Une fois en séries, c’était plus évident parce que tu croisais les mêmes gars plus souvent», se souvient Carbo.
Le nouvel intronisé n’a d’ailleurs pas à chercher bien longtemps dans sa banque de souvenirs pour défiler ses observations sur la manière dont Gretzky s’y prenait pour hacher finement les défensives adverses, mystifier les gardiens, et mousser sa production offensive et celles de ses coéquipiers.
«Wayne aimait se faire oublier en zone neutre un peu avant la ligne rouge. Et lorsqu’il se dirigeait vers ta zone, il avait l’habitude de faire une courbe en entrant dans ton territoire. Ça ouvrait le jeu et ça donnait le temps à ses coéquipiers de venir le rejoindre. Ça faisait plus de monde à surveiller et il en profitait pour se diriger là où il y avait moins de monde ce qui nous empêchait de lui enlever du temps et de l’espace.»
Carbonneau s’assurait aussi de catalyser ses efforts pour contrer les points forts de ses adversaires au lieu de gaspiller de l’énergie à s’occuper de détails moins importants. Un peu comme il l’a toujours fait dans ses duels l’opposant à Adam Oates.
«Oates est l’un des meilleurs passeurs de l’histoire du hockey – il a récolté 1079 mentions d’aide en 1332 matchs, dont 409 lors d’attaques massives – mais il n’avait pas un tir dévastateur. Alors quand je me retrouvais devant lui en désavantage numérique j’étais prêt à lui concéder un tir, mais je faisais tout ce je pouvais pour couper les lignes de passes en me disant que mon gardien pourrait stopper ses tirs, mais qu’il serait bien plus vulnérable si je laissais Oates offrir un tir sur réception à Brett Hull par exemple.»
Un mélange de respect et de haine
Contrairement à bien des joueurs «défensifs» Carbo n’était pas du genre à narguer ses adversaires sur la patinoire pour les déconcentrer. Ou pas vraiment.
«Au nombre de guerres de tranchées que j’ai livrées sur la patinoire, c’est clair qu’il y a eu des échanges de mots pas toujours catholiques sur la patinoire. Il y a aussi eu des échanges de coups pas toujours légaux. Mais il y avait tellement de passions dans ces guerres sur la glace que les débordements étaient parfois inévitables. Presque normaux. Mais j’avais Chris – Nilan – et d’autres coéquipiers qui étaient pas mal forts pour parler aux adversaires afin de les déconcentrer. De me côté, je me disais que plus les adversaires me parlaient sur la patinoire, plus ils m’accordaient de l’importance, meilleures étaient mes chances de succès contre eux. Ça voulait dire qu’au fond je faisais une bonne job», philosophe le joueur de centre.
En raison de la régularité des duels qui opposaient le Canadien et les Nordiques, en raison de la proximité géographique des deux équipes et aussi en raison de l’immense défi que représentait Peter Stastny qui a été devancé seulement par Wayne Gretzky en fait de production offensive au cours de son illustre carrière, les face-à-face Carbo/Peter ont été les plus suivis de tous. Ceux qui ont attisé le plus de passions. Une passion qui a dérapé vers une certaine haine par moments. Une haine certaine qu’ajouteraient sans retenue plusieurs témoins de cette rivalité.
«Disons que c’était très intense entre nous. J’ai eu ma part de succès contre Peter, mais il m’a aussi fait passer une très mauvaise nuit à une occasion. Lorsque les Nordiques nous ont éliminés en série alors que Peter a marqué le but décisif en prolongation, nous étions tous les deux sur la patinoire. Il m’a battu au cercle de mise en jeu et m’a ensuite échappé pour marquer le but gagnant. J’avais passé la nuit dans la petite pièce ou on rangeait les bâtons près du vestiaire dans l’ancien Forum. Je ne voulais pas sortir de là», raconte Carbonneau qui a depuis établi un nouveau genre de relation avec Peter.
«Quand nous nous sommes retrouvés tous les deux à St.Louis – Guy Carbonneau a joué pour les Blues en 1994-1995 après qu’il eut été échangé en raison d’une photo le montrant brandissant un doigt d’honneur à un photographe de presse alors qu’il jouait au golf après l’élimination du Tricolore au printemps 1994 – les premiers jours n’ont pas été évidents. On ne se parlait pas beaucoup. Mais après une semaine, on s’est mis à parler ensemble et rapidement nous nous sommes mis à rire de tout ce qu’on avait vécu l’un contre l’autre dans la guerre Canadien-Nordiques», se rappelle avec plaisir Carbonneau.
S’il a eu plus que sa part de succès contre Stastny et les autres grands adversaires qu’il a croisés au fil de sa carrière de 19 saisons dans la LNH, Carbo reconnaît que d’autres lui ont donné beaucoup d’ennuis. Et pas nécessairement parce qu’ils étaient de grandes vedettes.
Le premier nom qui vient en tête au nouvel intronisé est celui de Ken Linseman. Agitateur de première, le pisse-vinaigre qu’on surnommait «le rat» sur les patinoires de la LNH, l’ancien des Flyers qui l’ont repêché en première ronde – septième sélection – en 1978, les Bruins ou les Oilers avait le numéro de Carbonneau.
«Je n’ai jamais compris pourquoi, mais c’est lui qui m’a toujours donné le plus de trouble sur la patinoire. À commencer par les mises en jeu qu’il gagnait plus souvent que moi. Il y a des gars comme ça contre qui tu n’arrives pas à avoir le dessus et moi c’était Linseman. Ça me rendait fou des fois» reconnaît Carbonneau en insistant sur la nature des duels d’antan.
«Les gens oublient qu’en plus d’être des grandes vedettes offensives, des gars comme Mario, Peter Stastny, Mark Messier étaient aussi très forts physiquement. Ils étaient de très bons joueurs, mais ne reculaient jamais devant les bagarres physiques à un contre un. Je peux te dire que Peter était solide en maudit sur une patinoire. Il n’était pas facile à tasser. C’est pour ça que je me concentrais comme je le faisais sur ses habitudes afin de maximiser mes chances de gagner mes batailles contre lui.»
Une récompense pour ceux qui ont cru en lui
Le fait d’être un joueur de petit gabarit est loin d’avoir nui à Guy Carbonneau au cours d’une carrière qui le conduit aujourd’hui aux portes du Temple de la renommée du hockey.
Mais sa petite taille en faisait une cible facile dans les rangs juniors où il a d’ailleurs dû composer avec des blessures. Des blessures qui auraient pu venir à bout de son rêve de toujours : celui d’atteindre la LNH.
Ce sont d’ailleurs à ces épreuves qu’il a surmontées au fil du parcours difficile et sinueux qu’il a emprunté avant de s’établir avec le Canadien de Montréal et tous ceux et celles qui l’ont aidé à surmonter ces épreuves qui sont venus meubler ses souvenirs lorsque Lanny McDonald, président du Temple de la renommée, et John Davidson, président du comité de sélection, lui ont confirmé par téléphone son intronisation l’été dernier.
Ce sont encore ces épreuves et ceux et celles qui l’ont aidé que Carbonneau s’assurera de remercier lundi soir dans le cadre de son discours d’intronisation.
«Ce n’était pas dans mon ADN d’abandonner. Mais des fois, ça aide beaucoup d’avoir du monde autour qui crois en toi. Et qui des fois crois plus en toi que tu peux le croire toi-même. Une de ces personnes a été Yvan Gingras qui m’a coaché à Chicoutimi dans le junior. Lundi soir, je vais entrer au Temple de la renommée. Ce sera un très grand moment. Un moment aussi fort que les coupes Stanley. Mais depuis que j’ai appris cette belle nouvelle, j’ai souvent pensé au parcours qui m’a mené jusqu’ici. À toutes les choses que j’ai faites, tous les efforts, les sacrifices. C’est loin d’avoir toujours été rose. Il y a eu beaucoup de moments difficiles. D’autres, très difficiles. Mais je crois que c’est ce qui rend cette étape encore plus belle», témoigne Carbo.
Cinquante-septième joueur du Canadien de Montréal à faire son entrée au Temple de la renommée, Guy Carbonneau passera les prochains jours sous les projecteurs à Toronto dans le cadre de la fin de semaine d’intronisation. Il sera présenté sur la patinoire avant la partie opposant les Bruins de Boston aux Maple Leafs en compagnie de Sergei Zubov, Hayley Wickenheiser, Vaclav Nedomansky – ce grand joueur slovaque a été le tout premier à faire défection du bloc de l’Est pour venir jouer en Amérique du Nord – en plus des bâtisseurs Jim Rutherford, le directeur général des Penguins de Pittsburgh qui a longtemps été à la tête des Whalers de Harford ensuite devenus les Hurricanes de la Caroline, et Jerry York qui a connu énormément de succès à la barre de clubs universitaires américains des institutions de Clarkson, Bowling Green et Boston College.
Le point culminant de cette fin de semaine d’activités sera lundi soir alors que Carbonneau et les autres intronisés de la cuvée 2019 iront rejoindre les 405 autres joueurs et joueuses, bâtisseurs et officiels qui les ont précédés au Temple de la renommée depuis sa création en 1945.