« Un gros travaillant »
LNH lundi, 17 nov. 2014. 09:41 lundi, 2 déc. 2024. 13:33J'ai demandé un jour à Serge Savard ce qu'il avait vu en Pat Burns pour faire de cet ancien policier l'entraîneur-chef du Canadien.
Burns avait abandonné sa carrière dans la force constabulaire pour piloter les Olympiques de Hull durant trois ans. Quand le patron du Canadien lui a offert de diriger la filiale des Canadiens de Sherbrooke, dans la Ligue américaine, on a cru qu'il voulait voir de plus près cet entraîneur autoritaire, à la dent dure et capable de faire marcher ses joueurs juniors au pas. Ce type d'entraîneur peut être fort utile au niveau d'une filiale où les joueurs ont encore tout à apprendre avant de s'élever à un niveau supérieur.
Cette nomination en avait intrigué plusieurs. Il semblait que Burns n'avait pas le fini et la diplomatie pour diriger le Canadien. Le président Ronald Corey n'était pas très entiché des entraîneurs qui, les bras en l'air, enguirlandaient les officiels en utilisant un langage d'église. Pourtant, après une seule saison à Sherbrooke, Burns est venu remplacer Jean Perron que Savard ne pouvait plus blairer.
Donc, qu'est-ce que Savard avait vu en Burns pour faire faire un bond aussi rapide à sa jeune carrière d'entraîneur? Il ne s'était pas lancé dans une longue explication. Il ne m'avait pas parlé de ses aptitudes de tacticien. Il ne s'était pas attardé sur ses qualités de motivateur. Il avait simplement dit : « Tu sais, Pat, c'est un gros travaillant. »
Il l'a été. Il a toujours été bien préparé. Il avait la poigne solide, mais il pouvait aussi se montrer très humain à l'occasion. D'ailleurs, Burns ne s'est jamais laissé découvrir facilement. Sous des dehors bourrus, il cachait assez bien une facette beaucoup plus sympathique de sa personnalité. Il était un fin raconteur. Il était même drôle quand il s'ouvrait un peu, mais il était également un homme tourmenté. Il croyait souvent que le reste de la terre lui en voulait, surtout les journalistes.
Il était intimidant de nature. Il l'a sans doute été très souvent dans la police. Le hic, c'est qu'il a continué d'avoir recours à l'intimidation dans les médias, surtout avec les jeunes du métier. Quand l'un deux, en revenant sur une de ses décisions, écrivait trois lignes là-dessus, Pat le confrontait à son arrivée à l'entraînement du matin.
« Hey, toé, tu m'as critiqué ce matin », lui lançait-il, le regard menaçant. Il avait la paix avec celui-là pendant longtemps. Avec les vétérans du milieu, ça ne fonctionnait pas, ce qui le mettait en rogne. Quand on avait passé huit ans aux côtés de Scotty Bowman, Burns ne pouvait pas nous faire peur.
Derrière le banc, il avait un style bulldozer. Il n'exigeait jamais rien de moins que 100 % d'effort de ses joueurs. En fait, il ne leur en demandait pas moins qu'il en offrait lui-même chaque jour qu'il se présentait au travail.
Cette attitude est en bonne partie responsable de l'intronisation au Panthéon de la renommée du hockey dont il profitera à titre posthume, à Toronto, lundi soir. L'autre part de responsabilité revient à Serge Savard. S'il ne lui avait pas accordé sa première chance, Burns n'aurait pas exercé ce difficile métier durant 14 saisons. Si le cancer n'avait pas brutalement stoppé sa belle aventure, il y a fort à parier qu'il serait toujours là, à 62 ans, en train de gagner des matchs et, qui sait, d'ajouter un quatrième trophée Jack-Adams aux trois premiers qu'il a mérités avec trois formations originales : Montréal, Toronto et Boston.
La leçon servie par Lamoriello
Sa coupe Stanley, il l'a gagnée avec les Devils du New Jersey sous les ordres d'un directeur général, Lou Lamoriello, qui l'a traité comme un fils quand le cancer l'a rongé jusque dans la mort. À l'occasion de son embauche, le seul et grand patron des Devils lui avait servi un conseil qui lui aurait sans doute permis de prolonger sa carrière s'il était resté en santé.
Burns exigeait tellement de ses joueurs qu'il pouvait difficilement rester plus de trois ou quatre ans au sein d'une même organisation. Il avait du mal à se faire à l'idée que des athlètes ne pouvaient pas jouer le pied au plancher durant 82 matchs.
Tel que raconté dans sa biographie Pat Burns, l'homme qui voulait gagner, à l'occasion de l'entrevue qui a précédé son embauche, Lamoriello lui a expliqué les choses très clairement. Les Devils possédaient tous les ingrédients pour remporter la coupe Stanley. Cependant, pour y arriver, ils n'avaient pas besoin du type d'entraîneur qu'il était. S'il désirait le poste (et Dieu sait qu'il le voulait après avoir passé près de deux ans sans travail à la suite de son remerciement par les Bruins), il allait devoir changer. Son futur patron lui a fait comprendre qu'il préconisait un style qui usait tout le monde autour de lui, y compris lui-même.
Lamoriello, un rude Italien, n'a pas tourné autour de la question. « Quand l'équipe connaît du succès, tu en viens à penser que c'est à cause de toi, lui a-t-il dit. Tu le dois aux joueurs. Dès qu'ils se rendent compte que tu penses que c'est à cause de toi, tu te retrouves dans le pétrin. »
Jamais personne ne lui avait parlé de cette façon. « Je lui ai dit que ce qu'il avait à faire, c'était d'aimer ses joueurs plutôt que de tenter de leur prouver qu'il était un dur, a expliqué Lamoriello. Être dur est un état d'esprit, ce n'est pas un message. »
Ces remarques ne sont pas tombées dans l'oreille d'un sourd. Burns a gagné sa seule coupe Stanley dans l'année qui a suivi. La saison suivante, le cancer est venu chambouler les plans de tout le monde. Lamoriello a pris soin de lui et de sa famille jusqu'à son dernier souffle. Burns avait trois ans quand son père est décédé d'une attaque cardiaque à 49 ans. Étrangement, Lamoriello est peut-être devenu le père qu'il n'a jamais eu.
Une seconde carrière impressionnante
J'ai eu mes différends avec Burns, mais je l'ai respecté pour tout ce qu'il a accompli en gravissant vaillamment les échelons. Toutefois, c'est dans sa seconde carrière dans les médias qu'il m'a vraiment impressionné.
Il faisait une intervention en ondes à CKAC tous les matins de la semaine. La maladie ne l'incitait pas à sauter son tour quand il se tirait péniblement du lit certains matins. Parfois, sa voix était bonne et forte. Parfois, elle était rauque, une indication qu'il était souffrant.
Il mettait beaucoup d'application dans ses interventions. Il aurait pu rouler sur son vieux vécu en nous servant des : « Moi, dans mon temps… » Il travaillait plutôt sur l'activité du jour. Il parlait à des hommes de hockey. Avant d'aller en ondes à 7 h 30, il avait déjà eu le temps de consulter sur le web les principaux journaux autour de la ligue. Bref, il faisait ses devoirs. Il était intéressant, pertinent.
Pat n'a jamais laissé la maladie et les souffrances physiques l'éloigner de ce qu'il a toujours été, un gros travaillant. Un comportement qui justifie pleinement l'hommage qui lui sera rendu ce soir. Son intronisation arrive sur le tard, mais comme le précise Line, la femme courageuse qui l'a appuyé dans ses moments de gloire comme dans le calvaire qu'il a vécu, il est maintenant au Panthéon pour toujours. C'est tout ce qui compte.