MONTRÉAL- La carrière de Pierre Lacroix a trop souvent été injustement résumée à la transaction qui lui a permis de placer Patrick Roy devant le filet de l’Avalanche.

Vrai que cette transaction a propulsé l’Avalanche vers les grands honneurs en 1995-1996 devant les autres prétendants à la coupe Stanley. Mais cette transaction est un cadeau tout droit tombé du ciel. Lorsque Patrick Roy a lancé au président d’alors Ronald Corey et à l’entraîneur-chef de l’époque Mario Tremblay qu’il venait de disputer son dernier match dans l’uniforme du Canadien, il était clair que Denver devenait la seule destination possible pour le gardien.

Cela dit : Lacroix aurait simplement pu profiter de la situation pour «régler» le problème du Canadien. C’était toutefois bien mal connaître l’homme de hockey redoutable qui se cachait derrière ce bonhomme à la bouille sympathique.

Car en plus de laver le Canadien dans une transaction à sens unique, Lacroix s’est assuré de plonger le Tricolore dans un tonneau d’eau de javel en profitant de l’onde de choc qui secouait le Forum pour ajouter Mike Keane à la transaction.

L’ajout de Keane illustre à merveille la qualité de directeur général de Pierre Lacroix. Cet homme savait flairer les bons coups. En plus il savait les maximiser.

De fait, quand on survole les actions qu’il a multipliées au fil des années, on réalise que Pierre Lacroix était un homme de grandes décisions. Motivé par une chose, une seule, la victoire, Pierre Lacroix ne reculait devant rien n’y personne pour prendre des décisions importantes. En plus, il trouvait le moyen d’ajouter un petit quelque chose ici, un petit quelque chose là pour maximiser ses chances d’améliorer ses chances de succès et du coup les chances de succès de son club. De ses joueurs.

Pierre Lacroix considérait ses joueurs comme des fils. Il prenait un soin précieux de ses joueurs comme il le faisait alors qu’ils étaient ses clients pendant ses années où il partageait, avec Robert Sauvé, l’agence Jandec qui représentait la grande majorité des joueurs québécois de grande envergure.

Mais attention! Ce n’est pas parce qu’il considérait ses joueurs comme des fils que Pierre Lacroix se laissait aveugler par une affection qui l’aurait privé de prendre des décisions difficiles pour le bien de son équipe.

Lacroix a laissé partir de bons joueurs au cours de sa carrière. Mais c’était pour en ajouter des meilleurs.

Il l’a fait pour acquérir Patrick Roy et Mike Keane ce qui a mené à la première conquête de la coupe Stanley de l’Avalanche dès la première saison du retour de la LNH à Denver.

Il l’a fait aussi pour ajouter Raymond Bourque et Rob Blake à sa brigade défensive. Il l’a fait pour mettre la main sur des choix au repêchage quand ses recruteurs lui promettaient de mettre la main sur des recrues qui allaient faire leur marque avec l’Avalanche.

C’est comme ça qu’un tout jeune Alex Tanguay s’est ajouté aux Bourque et Blake pour faire de l’Avalanche qui était déjà un club redoutable, une équipe qui s’est rendue à sa deuxième coupe Stanley.

Pierre Lacroix a fait tellement de bons coups pour renforcer un club déjà très fort, que la seule chose qu’on pourrait reprocher à ses équipes est de s’être contentées de deux coupes Stanley.

Décisions difficiles

Au chapitre des décisions difficiles qu’il ait eu à prendre, l’une des premières a été de tourner le dos à son grand «chum» de toujours Michel Bergeron lorsqu’est venu le temps de remplacer Pierre Pagé derrière le banc des Nordiques.

Pierre Lacroix : grand négociateur et homme de famille

Après un deuxième séjour derrière le banc des «Bleus» qui étaient alors lamentablement mauvais, Bergeron aurait eu les mains pleines alors que les Nordiques patinaient vers des jours meilleurs.

On ne savait pas encore qu’ils s’exileraient vers Denver. On ne savait pas encore que Patrick Roy et Mike Keane débarqueraient en renfort. Mais on savait que les Nordiques étaient sur le point de passer de bon club à très bon club. Ce que le temps a confirmé.

Au lieu de prendre la décision «facile» d’offrir le club à son chum, Pierre Lacroix lui a plutôt tourné le dos pour l’offrir à un jeune Marc Crawford.

Cette décision a érigé une muraille entre les deux hommes. Une muraille que leur ami commun René Angélil a réussi à briser quelques années plus tard en les forçant à renouer contact. Les images croquées par le géant Paul Buisson alors que les deux hommes partageaient un souper dans le bureau de Lacroix avant un match entre l’Avalanche et le Canadien à Denver avaient confirmé cette trêve.

Pierre Lacroix n’a pas seulement tourné le dos à Michel Bergeron en confiant son club à Marc Crawford, il a aussi tourné le dos à Jacques Martin.

Après une saison à titre d’entraîneur-chef des As de Cornwall le club-école que les Nordiques avaient établi dans l’Est-Ontarien, Jacques Martin s’est fait confier le rôle d’encadrer le jeune Crawford avec Joel Quenneville à titre d’adjoint au lieu d’hériter de la grosse job.

Cette décision a finalement permis à Jacques Martin d’obtenir le poste d’entraîneur-chef des Sénateurs d’Ottawa un an plus tard. Un poste qu’il n’aurait pu accepter s’il avait été entraîneur-chef de l’Avalanche puisque Pierre Gauthier n’aurait pas été en mesure de le courtiser.

Cette décision a aussi permis à Bob Hartley d’atteindre la LNH et de gagner la coupe Stanley à Denver après son séjour dans la Ligue américaine à Cornwall d’abord et Hershey ensuite.

Comme quoi Lacroix n’a pas eu seulement de gros impacts sur les carrières des joueurs qu’il a représentés et des joueurs qu’il a payés. Mais aussi sur tout plein d’hommes de hockey.

Parfois charmeur, souvent charmant, toujours en contrôle

Dans son rôle d’agent, Pierre Lacroix était assez difficile d’accès. Du moins il l’était avec le jeune journaliste que j’étais à cette époque.

Comme directeur général, il l’était plus encore. Surtout quand son équipe ne jouait pas à la hauteur de ses attentes.

« Pierre a été instrumental dans mes succès. »

Mais quand il était de bonne humeur, Lacroix pouvait être charmant. Et aussi un brin charmeur. Mais il était toujours en plein contrôle de la situation.

Lors de ma première visite à Denver alors que je couvrais les Sénateurs d’Ottawa, Pierre Lacroix nous avait invités, Michel Langevin qui assurait la description à la radio francophone des «Sens» et moi, sur la patinoire pour un petit concours de précision. Lui en souliers vernis, nous en espadrilles, il fallait tenter de frapper les poteaux avec les rondelles ramassées ici et là sur la patinoire. J’ai frappé du vent plus souvent qu’autrement. Langevin qui avait un certain talent au hockey avait frappé quelques poteaux. Mais c’est Lacroix, qui avait l’air de tout sauf d’un joueur de hockey, qui avait gagné...

À une autre occasion, lors d’une entrevue, au lieu de répondre à mes questions sur les Sakic, Forsberg, Foote et autres grandes vedettes qui faisaient de l’Avalanche un club si puissant, Pierre Lacroix avait redirigé ses réponses vers Stéphane Yelle.

Son nom ne vous dit peut-être pas grand-chose. Mais à l’époque, Yelle était un joueur de soutien qui faisait du travail honnête avec les Avs. Je ne sais pas si c’est parce que nous étions de l’Outaouais et que Yelle était originaire de Bourget dans l’Est ontarien et que le DG. avait flairé l’occasion de rendre hommage à un joueur qui n’en recevait sans doute pas assez – lire pas du tout – dans les médias de Denver, mais Pierre Lacroix avait insisté sur l’importance de Yelle dans les succès de son équipe.

Je n’avais pas pu écrire le texte que je voulais écrire parce que Lacroix avait pris le contrôle de l’entrevue.

Cette anecdote démontre une autre facette du directeur général qu’il était. Un gars qui savait prendre les moyens, directs et indirects, pour mener à bien les plans qu’il concoctait.

Pierre Lacroix a trop vite quitté l’Avalanche après son séjour comme directeur général et président. Il aurait pu garder son équipe à l’œil et maintenir la place de choix qu’il occupait autour de la table des dirigeants de la LNH. Il a décidé d’aller s’occuper de sa famille et de profiter de la vie.

Depuis dimanche, ce sont son épouse, ses fils et ses petits-enfants qui trouvent qu’il les a quittés bien trop vite alors que la Covid-19 a ajouté le nom de Pierre Lacroix à sa trop longue liste de victimes.

Mes condoléances à sa famille, à sa deuxième famille de l’Avalanche, particulièrement à Jean Martineau qui perd un grand frère, à Robert Sauvé avec qui il a étroitement travaillé, aux joueurs qu’il a guidés à titre d’agent et à tous ceux et celles qui avaient la chance de compter Pierre Lacroix parmi leurs amis.

ContentId(3.1378852):Pierre Lacroix, architecte de deux coupes Stanley
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