"Dans le coin droit, portant le maillot noir et pesant 456 livres (215 kilos), d'Atlantic City, New Jersey : King Kong Bundy (chouuuuuu). Son rival, de St-Jérôme, Québec, portant le maillot bleu, blanc, rouge, et pesant 123 livres (55 kilos): "Little Beaver"(applaudissements et sifflements frénétiques).

Il va sans dire que les 93 173 personnes réunies au Silverdome de Pontiac, une banlieue de Detroit, au Michigan, favorisaient le négligé dans les circonstances. Un mastodonte contre un nain. Poser la question, c'est y répondre. Au fait, tout ce beau monde s'était regroupé en ce 29 mars 1987 pour voir en finale, le combat de championnat du monde tant attendu entre l'invincible titulaire André The Giant, mieux connu chez nous comme le Géant Ferré, et l'aspirant, le populaire Hulk Hogan. Je ne vous ferai pas languir plus longtemps. Hogan avait soulevé la foule en soulevant son rival de 567 livres pour le terrasser au tapis et entendre l'arbitre compter la tradition 1...2...trrrrrrrrrrrrrrrrrois. En anglais, évidemment. Hogan devenait ainsi le nouveau champion du monde.

Mais comme attraction de soutien, c'est "Little Beaver" et King Kong Bundy qui avaient volé le show. "Little Beaver", de son vrai nom Lionel Giroux, m'avait raconté sa soirée de travail à son retour de Detroit. "J'ai jamais eu aussi peur de ma vie", de dire Lionel, décédé huit ans plus tard ,soit le 4 décembre 1995 d'un emphysème. Il avait 61 ans. Puis il continua: "C'est Vince McMahon, le grand manitou de la WWF (maintenant WWE), qui avait eu l'idée de présenter un tel combat, question de dérider la foule avant le match principal. King Kong avait un autre nain comme partenaire,Tahti Kid, alors que j'étais épaulé par un dénommé Hillbilly Jim, qui pesait 256 livres (115 kilos).


Acte de contrition

" Il avait été convenu avec le metteur en scène de l'événement, Pat Patterson, bien connu dans les milieux de la lutte au Québec, que les nains devaient s'en prendre aux nains et les gros aux gros. Mais si dans la vie les budgets sont faits pour être défoncés, à la lutte les règlements sont là pour être brisés et les arbitres ridiculisés. Tout le monde sait ça. Toujours est-il qu'après m'être moqué de King Kong, question d'amuser la foule, le gros pas bon m'a levé au bout de ses bras pour me projeter sur le plancher dur comme du ciment. J'ai vu des étoiles. Je sentais ma fin prochaine. J'ai dit mon acte de contrition. Faudrait pas oublier que j'ai 53 ans. Mon rival m'a ensuite écrasé avec ses 456 livres pendant que l'officiel comptait le traditionnel 1-2-3. Mon supposé partenaire lui assistait à la scène en qualité de spectateur. Un autre pas bon. On dit ensuite que la lutte est arrangée. En tout cas, pas cette fois-là ", de conclure Lionel.

Combien cette soirée de travail lui a-t-elle rapporté? Lionel n'a jamais voulu le dire. Il était trop gêné. Trop humilié. Il a emporté son secret dans sa tombe. "J'ai su de bonnes sources qu'il avait touché 20 000$, moins les taxes", de me confier Gino Brito, l'ancien lutteur et promoteur au Centre Paul Sauvé du temps des bonnes années de la Lutte Internationale. "J'ai bien connu le milieu. Hogan et le Géant ont fait au moins un million chacun lors de cette soirée à Pontiac. Je t'en dirai plus, Jaypee. Les recettes de Wrestlemania, dont c'était la 25e présentation annuelle la semaine dernière à Houston, sont tellement fabuleuses --sans oublier les revenus de la télévision-- qu'elles sont partagées entre tous les membres de l'organisation de la WWE, même parmi les lutteurs qui ne figuraient même pas au programme ce soir-là. C'est comme ça que ça marche", de dire Brito.

C'est Gino qui a sonné le glas de la lutte au Québec en 1987, quand McMahon lui a volé ses principales vedettes, dont les frères Rougeau, King Tonga et Dino Bravo. Il opérait alors la Lutte Internationale de concert avec Frank Valois et quelques associés. Il a dû fermer boutique.


Triste fin

Pour revenir à Little Beaver, il ne s'est jamais remis des malaises subis lors de cette mémorable soirée du 29 mars 1987. Il a souffert de maux de dos jusqu'à sa mort, malgré les bons soins de son médecin de famille, le Docteur Legault. Avant de mourir, il m'avait raconté une partie de sa vie mouvementée et tumultueuse ponctuée d'embuches.

"C'est Marcel Gauthier, un lutteur nain de St-Henri, qui m'avait présenté à un promoteur américain du nom de Jim Norton. J'ai mordu à l'hameçon. C'était en 1950. J'avais 15 ans, quand j'ai quitté la maison familiale. J'allais devenir millionnaire. Fameux. Célèbre. Comme dans les films ou à la télévision. J'avais choisi la grande aventure. En quittant St-Jérôme, je ne savais pas si je devais rire ou pleurer.

"J'ai échoué sur toute la ligne financièrement. Je luttais sept soirs par semaine aux États et mon porte-feuilles était mince comme une galette. Norton m'a saigné à blanc. J'ai connu une période heureuse, mais de courte durée, quand j'ai rencontré la flamme de ma vie, une demoiselle du nom de Margaret Lemoyne, née aux États-Unis d'un père belge. Ce fut le coup de foudre. Le mariage. Au pied de l'autel? Oubliez ça. Monsieur Norton avait décidé que la noce aurait lieu dans le ring après un combat à Santa Monica en Californie. La cerise sur le gâteau ? Les 6 000 spectateurs présents avaient le privilège de monter dans le ring et d'embrasser la mariée, moyennant une somme d'un dollar. Cette soirée m'a rapporté 75$. Norton lui a fait la passe".

Lionel Giroux s'est toujours demandé pourquoi il était né comme nain, alors que son père, sa mère et ses frères et soeurs étaient tous normaux, tout comme son fils unique d'ailleurs, Lionel Ernest, issu de Margaret, même si cette union a duré le temps des roses. Il était certain que sa vie aurait connu un cours normal, s'il était né comme tout le monde. C'est dans l'ordre des choses possibles.

Quelle histoire!