Cette histoire me vient directement du premier café de mes journées estivales que je bois sur un banc de la galerie avant de ma demeure. J'aime me lever tôt pour savourer la solitude de la rue, lire La Presse Plus et réfléchir à ma journée. C'est une histoire que je n'aurais jamais cru écrire un jour. Mais la voilà pourtant car elle s'inscrit dans la lignée de tous ces textes sur la marche ou la course à pied que j'ai écrit depuis près de six ans.

Il y a quelques jours, je terminais mon café lorsque le facteur est passé pour déposer du courrier dans ma boîte postale; suivi quelques minutes plus tard d'un homme qui distribuait les circulaires de la semaine. Je les enviais tous les deux en cette belle journée ensoleillée de pouvoir ainsi être dehors à marcher. Sans même s'en rendre compte, leurs métiers leur permettaient de garder la forme. Pas besoin de faire un petit jogging matinal ou après le boulot puisqu'ils avaient déjà fait un bon exercice.

Ils sont nombreux les métiers qui permettent à ceux qui les exercent de se garder en forme. Je ne parle pas des ouvriers qui doivent travailler physiquement mais plutôt de ceux qui doivent marcher pratiquement sans arrêt pour le faire. Facteur, camelot, garde forestier, guide de chasse, employé d'Hydro-Québec chargé de relever les compteurs, etc. Et que dire de l'éboueur qui court derrière le camion plutôt que de grimper sur le petit marchepied arrière du camion pour passer d'une résidence à l'autre? Tous parcourent de nombreux kilomètres à pied dans une journée.

J'avais le goût d'essayer et de mesurer du mieux que je le pouvais la dépense énergétique associée à ces métiers. Impossible évidemment de m'improviser postier, garde forestier ou encore de déambuler dans les rues pour relever les compteurs d'Hydro-Québec (même si ce métier est voué à disparaître avec les nouveaux compteurs intelligents). Mais je pouvais certainement tenter ma chance du côté de la distribution des circulaires!

 


L'homme qui s'occupe de cette distribution sur les rues de mon quartier se nomme Marquis Aita. Il est âgé de 71 ans, mais on lui en donnerait très facilement dix de moins malgré sa chevelure blanche. Son visage se fend d'un large sourire lorsque je lui propose de le remplacer sur une partie de son parcours mais il accepte gentiment ma proposition. Il distribue près de 600 circulaires à autant de résidences, deux fois par semaine. Il adore ce métier qui ne l'accapare que deux jours par semaine et qui lui a permis de perdre beaucoup de poids.

Il me donne rendez-vous le 12 août devant chez moi et m'annonce qu'il me confiera 300 sacs de circulaires. Je serai payé 15 cents par sac distribué. Pour rendre la chose plus intéressante, je demande à mon garçon de 14 ans, Émile, de m'accompagner. Il ne semble pas trop emballé par ma proposition d'activité père-fils, mais accepte lorsque je lui dit qu'il touchera la totalité de nos émoluments!

Marquis est là dès 7h30 avec le coffre arrière de sa fourgonnette plein de sacs blancs renfermant la précieuse cargaison annonçant des soldes plus alléchants les uns que les autres. Le visage de la nutritionniste Isabelle Huot orne le devant de chaque sac. Elle y vante les bienfaits d'un nouveau pain. Ça me donne le tourniquet tellement son sourire est partout! Mon expérimenté mentor m'explique que je dois faire mon travail avec classe. Surtout ne jamais laisser un sac sur la pelouse d'une résidence. Il doit être accroché à la boîte postale, à la rampe d'escalier ou bien déposé sur le perron. En aucun temps, il ne doit donner l'impression d'avoir été lancé. Il me souhaite bonne chance puisque c'est une journée lourde de spéciaux. Les annonceurs sont plus nombreux à vouloir faire connaître leurs rabais à l'approche de la rentrée scolaire. Chaque sac pèse 800 grammes, presque deux livres.

 



J'en transfère le plus grand nombre possible, environ une centaine, dans ma vieille remorque de vélo. Celle dans laquelle j'ai si souvent embarqué mes enfants pour les pousser sur des centaines de kilomètres en joggant! Le poids maximal recommandé est de 80 livres. Il y en a deux fois plus! Je me croise les doigts pour qu'elle ne casse pas.

La veille de notre distribution, j'avais pris le temps de courir sur le parcours où nous allions distribuer les circulaires. Cela m'avait donné 4,3 kilomètres que j'avais parcourus en 18 minutes et, selon les données de mon GPS Garmin Forerunners, entraîné une dépense de 350 calories. J'avais l'intention de me servir de ces précieuses données pour comparer la distance que j'allais parcourir en zigzaguant d'une maison à l'autre le lendemain, sacs de plastique blanc à la main.



Émile et moi amorçons notre distribution avec une bonne vitesse. Il se charge du côté droit de la rue, moi, du gauche. Nous prenons bien soin de ne pas marcher sur les pelouses immaculées ou les plate-bandes méticuleusement entretenues et tentons de respecter la quiétude des résidents. Un homme vient de terminer de tondre sa pelouse et je m'approche pour lui tendre son sac de circulaires. Il me regarde et me demande si je ne suis pas Frédéric Plante de RDS. Je lui réponds par l'affirmative et, sans plus de détails, le laisse dubitatif à son questionnement. Il pense sans doute que ça va mal pour moi au 5a7 et que je dois arrondir mes fins de mois!

À très exactement un kilomètre en ligne droite de notre point de départ, mon GPS m'indique que j'en ai parcouru un peu plus du double. Même chose pour Émile. Tous ces allez-retours entre ma remorque et les résidences se font sentir! Le poids de la dizaine de sacs que je transporte à la main ajoute également à l'effort. Un large cercle de transpiration apparaît sur le devant de mon chandail.

Je croise le facteur qui, comme il le fait à chaque jour, distribue le courrier sur le même parcours. Il m'apprend qu'il marche un peu plus d'une douzaine de kilomètres quotidiennement tout en portant ses lourdes sacoches pleines de courrier. Il rigole de nous voir aller, mon fils et moi, et nous traite gentiment d'amateurs!

La remorque de circulaires est vide. Notre première centaine est distribuée en seulement une vingtaine de minutes. On a le rythme. Le problème, c'est que nous devons revenir sur nos pas pour la remplir à nouveau. Lorsque nous arrivons à notre point de départ, nous avons déjà marché 3,2 kilomètres en 35 minutes. Après un rapide remplissage et quelques gorgées d'eau, nous repartons pour la suite.


Émile a maille à partir avec un chien qui refuse de le laisser passer sur son territoire. Ce sera le seul sac de circulaires qui sera lancé au cours de notre tournée qui se déroule sans trop d'histoires. Nous faisons bien attention de respecter le souhait de ceux qui ont apposé un autocollant près de leur porte indiquant qu'ils ne voulaient pas de circulaires. Nous gardons un bon rythme et je commence à penser que j'avais raison de croire que ce travail garde en forme. En plus, nous travaillons dans des conditions idéales puisque les maisons sont rapprochées et n'ont pas beaucoup d'escaliers. Il ne vente pas, ne pleut pas et ne neige pas! Je n'ose imaginer à quoi peut ressembler la distribution par moins vingt degrés en plein hiver. De plus, les bancs de neige interdisent les raccourcis.

Lorsque notre remorque est à nouveau vide, au sixième kilomètre, nous décidons de tricher un peu. Plutôt que de retourner à notre point de départ pour la remplir à nouveau de la dernière centaine de sacs, je téléphone à mon épouse pour lui demander de nous les apporter avec la voiture. Cela nous sauve beaucoup d'effort et de temps. Nous terminons fièrement notre travail en accrochant solennellement le 300e sac à la boîte postale de la dernière maison de la rue.

Marquis Aita vient nous rejoindre pour vérifier si tout s'est bien déroulé, récupérer les sacs inutilisés et répondre à nos questions. Il me dit qu'il y a trois types de réactions lorsque les gens le voient arriver avec sa cargaison. On l'ignore totalement comme s'il n'existait pas (du snobisme), on lui parle et le remercie gentiment ou bien on le regarde avec pitié comme pour se dire que le pauvre n'a d'autres choix que d'exercer ce métier. Pourtant, il m'explique qu'il le pratique avec tellement de plaisir.

 



En tout, Émile et moi aurons marché la même distance presque au mètre près: 9,14 kilomètres en 2 heures 13 minutes. C'est donc le double de ce que j'avais enregistré en courant sur ce même trajet la veille. Personnellement, j'ai dépensé 476 calories, mais ce chiffre est imprécis puisqu'il ne tient pas compte du poids que j'ai eu à porter ou à pousser. Et croyez moi, une dizaine de sacs de lourds circulaires dans les bras vous ralentissent beaucoup! La distribution des circulaires représente donc un très bon exercice. Les gens qui pratiquent ce métier se mettent en forme sans même s'en rendre compte!

Nous n'avons commis qu'une seule petite erreur et je m'en suis rendu compte de retour à la maison. Nous avions oublié de déposer un sac de circulaires chez nous! Pas grave, j'avais l'impression de connaître les soldes par cœur.