Il est rare que je m’improvise critique de cinéma, mais c’est pourtant ce que je vais faire dans la présente chronique. Loin de moi l’idée de me chercher un nouveau passe-temps ou de vouloir jouer à l’imposteur, mais un film nouvellement à l’horaire trouve sa niche dans mes écrits hebdomadaires entourant l’athlétisme. Quelle joie! Un film réussi sur un athlète qui a vécu une extraordinaire aventure olympique!

10 secondes de liberté raconte l’histoire de Jesse Owens, encore considéré aujourd’hui comme le meilleur sprinteur de l’entre-deux-guerres. On se souvient surtout de lui en raison de sa récolte de quatre médailles d’or aux Jeux olympiques de Berlin, en 1936, aux 100 mètres, 200 mètres, relais 4 x 100 mètres et saut en longueur. Il a remporté ces quatre médailles dans un Stade olympique bondé sous le regard stupéfait et furieux d’Adolf Hitler.

Films SévilleIl faut se replacer dans le contexte politique de l’époque pour comprendre la signification de ces médailles. Hitler et les nazis sont au pouvoir depuis quelques années et prêchent au monde entier la suprématie de la race arienne et blanche d’Allemagne tout en encourageant la persécution des Juifs. Pour le führer, les Jeux seront l’occasion de prouver la véracité de son idéologie raciste grâce à la force, la puissance et la vitesse de ses athlètes. Bref, leurs victoires seront la meilleure des propagandes du Troisième Reich.

L’exploit d’Owens est gigantesque. Hitler, qui a l’habitude de recevoir dans sa loge les vainqueurs pour leur serrer la main, préfère quitter le stade plutôt que d’avoir à féliciter un homme noir. Cette rebuffade n’altère en rien la joie d’Owens qui revient aux États-Unis en héros. Malgré son statut d’idole, il demeure un Afro-Américain privé de droits civiques dans une Amérique encore largement ségrégationniste. Le président américain d’alors, Franklin D. Roosevelt, soucieux de se faire réélire en pouvant compter sur les états du sud, refusera lui également de le recevoir à la Maison-Blanche. Ce ne serait pas bon pour son image!

Peu importe, le triomphe éclatant d’Owens à Berlin allait constituer une source de fierté pour le peuple noir américain et un encouragement à se battre pour s’affirmer et réclamer une loi sur les droits civiques.

Films SévilleUne histoire nécessaire à raconter

Étonnamment, aucun long-métrage n’avait jamais été produit pour raconter une portion de cette histoire. C’est maintenant chose faite grâce à une co-production Québec-Allemagne du réalisateur Stephen Hopkins.

10 secondes de liberté se déroule entre 1934 et 1936 et débute alors que Jesse Owens (excellent acteur canadien Stephen James) est recruté et entraîné par Larry Sneider. Le jeune sprinter de 21 ans ne tarde pas à dominer le circuit des compétitions américaines. Entre-temps, à Berlin, la réalisatrice Leni Riefenstahl tente de naviguer à travers les politiques du Reich et d’amadouer le ministre de la propagande, le redoutable Joseph Goebbels, afin de tourner un documentaire sur les Jeux olympiques.

Alors que les nazis refusent de laisser les noirs et les Juifs concourir aux Jeux, l’avocat américain Avery Brundage signe un accord afin que les Afro-Américains et Juifs d’origine américaine puissent y participer. Les Jeux approchent et la présence de Jesse Owens devient donc un enjeu crucial. Y participera-t-il malgré le régime nazi d’Adolf Hitler?

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Forte présence québécoise

Bien qu’il s’agisse d’une coproduction, le film a été tourné en grande partie dans la ville de Montréal et ses environs. Voilà qui ajoute encore à l’intérêt de voir ce film. Plusieurs québécois ont participé au projet dont, entre autres, l’athlète olympique canadien Hank Palmer, qui incarne l’une des doublures en action du personnage de Jesse Palmer interprété par Stephan James.

10 secondes de liberté est un film qui plaira, bien sûr, aux cinéphiles. Mais il offrira un plaisir encore plus grand aux amateurs de sports et d’athlétisme en raison du réalisme de ses scènes d’actions. Au scénario déjà solidement ficelé et habilement réalisé se juxtaposent des scènes de courses et de sauts parfaitement crédibles et chorégraphiés. Aucun faux pas. On y voit même les athlètes se servir de petites pelles pour creuser les trous leur servant à caler les pieds au départ pour un meilleur appui. 

L’équipe de production a eu la bonne idée de faire appel à l’entraîneur de renom Daniel St-Hilaire à titre de consultant principal en athlétisme tout au long du tournage. Et ça paraît! St-Hilaire est reconnu pour être une véritable encyclopédie de cette discipline sportive avec plus de 40 années d’expérience en tant qu’entraîneur auprès d’athlètes débutants, de niveau intermédiaire et finalistes olympiques. Les athlètes qu’il a aidé à former ont participé à des compétitions partout sur la planète. Bruni Surin est l’un d’entre eux.

Films SévilleSon apport est évident. Il avait pris la peine de rencontrer Stephen James à Atlanta quelques mois avant le début du tournage pour lui trouver un entraîneur qui allait l’aider à développer sa musculature de course à raison de cinq séances de travail par semaine. Il a également dû travailler avec Hank Palmer pour complètement remodeler sa technique de course. En gros, ce dernier devait désapprendre à courir, une tâche difficile pour un sprinter naturel qui court de la même manière depuis le début de sa carrière. À l’époque, les sprinters ne couraient pas comme ils le font présentement. Leurs foulées étaient beaucoup plus courtes. À preuve, pour un 100 mètres, Jesse Owens utilisait 60 foulées contre à peine 40 pour Usain Bolt!

La mécanique de course montrée à l’écran est exactement celle qu’adoptait Owens. En plus d’aider à recruter des athlètes canadiens de haut niveau pour participer aux scènes de compétitions en tant qu’acteurs et doublures, il a su recréer la façon exacte de procéder lors de compétitions aux Jeux olympiques sur des pistes de terre battue et ainsi demeurer fidèle aux usages de l’époque.

Cette piste d’athlétisme en terre battue, et non en synthétique comme c’est le cas aujourd’hui, a été créée à partir d’un dépotoir à neige à Longueuil. C’est là que furent tournées toutes les scènes de course, y compris celles du Stade olympique de Berlin. Les environnements qui entourent les pistes d’athlétisme ont tous été recréés à partir d’images numériques. Certains des plans du film utilisent la technologie Face replacement de manière à voir le visage de l’acteur personnifiant Owens, Stephen James, sur le corps de Hank Palmer. 

Une réussite

10 secondes de liberté est un film superbe que je recommande sans hésitation. Le travail de réalisation et le jeu des acteurs est une réussite dans ce drame biographique sportif. Vous vous surprendrez à retenir votre souffle pour encourager le personnage de Jesse Owens ou à vouloir crier pour dénoncer la discrimination dont il est victime.

Ce long métrage se joint à la très courte liste des films de course à pied qui méritent d’être vus, ne serait-ce qu’en raison du réalisme des scènes de compétitions. C’est également un rappel qu’en quelques secondes seulement, il y a 80 ans, le sprinter américain Jesse Owens a lancé un message fort au visage des leaders de l’époque. Celui d’un peuple qui voulait que son droit à la justice et à l’égalité soit reconnu.

C’était le début d’une course qui n’est pas encore tout à fait gagnée. Malheureusement!