J’ai rencontré Karl Hébert à Drummondville, le 17 mai dernier. Il venait alors de terminer le 10 km avec un excellent chrono de 36:01, ce qui lui conférait la troisième marche du podium. À titre de porte-parole de l’événement j’étais allé à sa rencontre pour le féliciter. Après lui avoir serré la main et échangé quelques paroles avec lui, j’étais conquis. Je me savais en présence d’un phénomène. Ce type avait vraiment une histoire qui sortait de l’ordinaire et qui méritait d’être racontée.

Outre son incroyable énergie et ses bras spectaculairement tatoués, la première chose qui frappe lorsqu’on rencontre Karl est son âge qu’il nous révèle avec fierté : 49 ans! Et pourtant, il devance facilement et régulièrement des coureurs nettement plus jeunes que lui. Je croyais avoir affaire à un athlète qui courrait depuis de nombreuses années, mais ce n’était pas le cas. Il pratiquait la course à pied depuis à peine deux ans.

Karl Ouellet

Il faut comprendre que tout le monde peut courir et qu’il n’est jamais trop tard pour débuter. Mais rares sont les coureurs qui réussissent à performer de la sorte en commençant à pratiquer ce sport à un âge aussi avancé.

En 2014, il s’inscrit à une trentaine de compétitions allant du 10 km au marathon. À chaque fois, il laisse une impression très favorable en terminant parmi les coureurs les plus rapides de sa catégorie d’âge (40-49 ans). Cette année, il avait décidé de participer à 36 courses avant de revoir cet objectif à la baisse. C’est qu’en prenant part à autant de compétitions, il n’a guère le temps de bien s’entraîner et de gagner en vitesse.

Avec sa plus récente (14 juin) participation au Tour du Lac Brôme (1 h 18:04 sur 20 km), il en est déjà à sa huitième compétition cette année.   Il avait, au préalable, terminé la plus vieille course sur route en Amérique, le 30 km Around the Bay à Hamilton, en 1 h 55. C’est deux minutes plus vite qu’en 2014. Il a ensuite franchi le mythique parcours du marathon de Boston en 2 h 49! Puis, quelques semaines plus tard il terminera le marathon de Buffalo en 2 h 59. Un résultat qu’il qualifie de décevant puisqu’il visait 2 h 47. Des crampes musculaires l’ont forcé à s’arrêter à quatre reprises pour s’étirer. Il terminera malgré tout à la troisième place de son groupe d’âge, 32e au total!

À peine six jours après sa course à Boston, il inscrit un temps de 1 h 21 au demi-marathon Banque Scotia de Montréal. Il enchaînera ensuite coup sur coup des 15 kilomètres à Chambly (58:45) et Saint-Hyacinthe (58:33) et un 10 km à Drummondville (36:01). Lors de chacune de ces courses, il se classe parmi les meilleurs. Véritable verbomoteur, Karl Hébert se montre très généreux lorsque vient le temps de m’expliquer son parcours.

Un conseil utile

Jeune, il excellait au hockey balle à son école secondaire du Pavillon Émile-Legault, à Saint-Laurent. Hyperactif, il croise la route de Ben Leduc, l’entraîneur personnel du défenseur des Bruins de Boston, Raymond Bourque. Leduc lui conseille alors de s’essayer à la course à pied pour canaliser ses énergies.

« J’avais 16 ans et me suis lancé dans un trois mois intensif de course à pied mais rien de plus. Ça s’est arrêté là. Puis, à 20 ans, la vie m’a menée en Californie où j’ai couru pendant six mois. On peut donc affirmer qu’à l’âge de 20 ans, j’avais en tout et pour tout couru seulement neuf mois dans ma vie », explique-t-il.

Karl OuelletKarl était complexé par sa petite taille. Il était léger et petit et n’aimait pas l’image qu’il projetait. Il croyait que les filles ne s’intéresseraient jamais à lui avant qu’il ne parvienne à prendre du poids. Le métier de son père l’amène à déménager régulièrement et à changer d’école tout aussi souvent. Chaque fois, il doit essuyer les quolibets de ses nouveaux camarades de classes qui se moquent de sa petite taille. Il décide alors de commencer à lever des haltères et continuera de le faire pendant 24 ans.

« J’ai fait du body building à m’en écœurer! Un jour, alors que j’étais assis sur un sofa, ma copine m’a mentionné que je commençais à avoir une petite bedaine. Ce n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd! J’ai donc décidé de me lancer dans la course à pied. Nous étions en avril 2013 et j’avais 47 ans. Je n’ai jamais arrêté depuis. »

Il s’investit totalement dans sa nouvelle passion. Pour Karl, rien ne doit être fait à moitié. Après à peine deux semaines d’entraînement avec des journées de six à douze kilomètres de jogging, il s’inscrit à sa première course organisée, le dix kilomètres de Saint-Laurent. Pour cette première course officielle à vie, il arrête le chrono à 42:10. Pas mal pour un débutant de 47 ans! Il est 25e de son groupe d’âge (40-49 ans) et prend pleinement conscience de son potentiel. Ne connaissant pas grand-chose aux techniques d’entraînement, il s’offre ensuite trois semaines extrêmement intenses à kilométrage élevé avec, comme résultat, un épuisement généralisé.

« J’ai dû m’arrêter pendant deux mois pour recharger mes batteries. Lorsque j’ai recommencé à courir, j’y ai été de manière beaucoup plus modérée et intelligente », raconte-t-il en riant.

Lorsqu’il participe à une course, Karl aime cibler les coureurs de son groupe d’âge et tout faire pour les devancer. S’il en aperçoit un devant lui, il mettra tout en œuvre pour le dépasser. Au passage, il laisse dans son sillon des coureurs beaucoup plus jeunes qui le regardent aller avec admiration. Le type est connu sur le circuit et il n’a pas tardé à se faire un nom.

« Je suis un gars très sociable. J’aime les gens et parler avec eux. Je me suis lié d’amitié avec les meilleurs, des gars comme David Le Porho ou Philippe Viau-Dupuis. Je crois que les plus jeunes sont fiers de ce que je réalise. Ils me disent qu’ils ne sont pas certains de courir encore lorsqu’ils auront atteint mon âge. Ça me fait bien rire. »

Karl OuelletLes années perdues

Karl Hébert prend une rare pause lorsque je lui demande s’il regrette d’avoir amorcé une carrière de coureur à un âge aussi avancé. « Oui! Énormément. »  Il se montre honnête et estime qu’il aurait pu réaliser de grandes choses. « Un de mes amis d’enfance me dit souvent que si j’avais commencé plus jeune, j’aurais été parmi les meilleurs au Canada et je crois qu’il a raison. J’étais bâti pour la course à pied. Dommage, j’ai perdu de belles années de course. Mes plus belles années », concède-t-il philosophiquement.

Celui qui arbore souvent les lettres GSP sur ses maillots de course en l’honneur de son modèle et inspiration, George Saint-Pierre, prépare ses propres plans d’entraînements. Il court également avec des amis du club de Saint-Jérôme, les Godasses du Nord. Il sait que pour s’améliorer sur de longs parcours, il doit abaisser ses chronos sur de plus courtes distances. Il s’est fixé comme objectif de courir un marathon en 2 h 42 d’ici deux ans. Il sera alors dans la jeune cinquantaine et, contrairement à la situation actuelle, sera le plus jeune de sa catégorie d’âge. Son classement sera encore meilleur. À Boston l’an prochain, quelques jours après avoir célébré son cinquantième anniversaire de naissance, il vise un top-5 dans sa catégorie. Rien de moins.

Maintenant qu’il vient de terminer le Tour du Lac Brôme (14 juin), Karl se concentre sur ses prochaines courses. Il sera du départ du demi-marathon de Sherbrooke (27 juin), du 10 km de Coaticook (2 août), du demi-marathon de Lachine (23 août), du marathon de Montréal (20 septembre), du demi-marathon de Granby (4 octobre) et du marathon d’Atlantic City (18 octobre). Il débourse plusieurs milliers de dollars pour assouvir sa passion pour la course à pied et ne dirait pas non à une commandite d’entreprises pour l’épauler.  

Karl OuelletDepuis que je couvre le merveilleux sports qu’est la course à pied, j’ai rarement eu l’occasion de croiser la route d’un athlète autant dédié à son sport et qui s’investit totalement dans sa passion. Plutôt que de s’apitoyer sur ses années de jeunesse où il n’a pu exploiter son extraordinaire potentiel, Karl Hébert regarde droit devant. La souffrance à l’entraînement ne lui fait pas peur et il s’est fixé des objectifs clairs.

Quelques minutes de conversation en sa compagnie vous font réaliser qu’avec un tel talent, il n’y a qu’une chose à faire. Courir. Juste ça. Courir. Pour rattraper le temps perdu!