TORONTO – « Le sirop d’érable coulait à flot à la maison, le Québec ça me parle. C’est une belle histoire. » Après avoir ramé pour l’équipe de France pendant 11 ans et participé à deux Jeux olympiques, Julien Bahain a quitté son pays d’origine à la découverte de ses racines maternelles, au grand plaisir du programme canadien d’aviron.

« Entre le moment où on a ce double passeport et celui où on se dit que l’on va tout claquer et partir pour faire une autre vie, il y a un océan à traverser », avoue toutefois avec le sourire le détenteur de la double citoyenneté franco-canadiennne.

Né à Angers d’une mère québécoise et d’un père français, le parcours de l’athlète de 29 ans se lit comme un livre. « J'aime penser à ma vie comme à une aventure », écrit-il d’ailleurs sur son site Internet personnel.

Français d’abord, Julien se sentait également un peu Québécois, Canadien. « Maman a toujours l’accent. Pour moi, il y avait quand même un petit bout du Québec à la maison. »

Passionné d’équitation, c’est par la force des choses qu’il prend les rames. Son médecin lui diagnostique une scoliose à l’âge de 13 ans en raison d’une croissance trop rapide et lui suggère alors de se tourner vers la natation ou l’aviron.

Seul problème, il a peur de l’eau. Il se donne tout de même la chance de l’apprivoiser en flottant sur elle. Ses premières sorties sont cependant un peu moins agréables que ce à quoi il s’attendait. « Je n’ai pas vraiment accroché. (L’aviron), ce n’est pas intuitif. On monte dans un bateau, mais on ne s’amuse pas tout de suite. »

« Au début ç’a été dur, mais finalement, je devais être un peu doué. Sans même trop m’entraîner, j’étais déjà un peu plus rapide que les autres. Ça m’a donné le goût de la compétition, le goût de réussir. »

Un désir qui l’a mené à une médaille de bronze en quatre de couple dès ses premiers Championnats du monde juniors, en 2003, puis à un titre de vice-champion mondial en 2007 et à la troisième marche du podium aux Jeux olympiques de Pékin en 2008 dans la même embarcation.

Il obtiendra ensuite plusieurs autres médailles en Championnats du monde et en Coupes du monde, tant en deux de couple qu’en skiff, jusqu’à ce qu’une « traumatisante » 10e place aux Jeux de Londres en deux de couple l’amène à réfléchir à la suite des choses.

Les yeux sur le bateau d’à côté

Dès sa première compétition internationale, aux mondiaux juniors d’Athènes en 2003, Julien s’intéresse aux résultats des rameurs à la feuille d’érable. « Je ne vais pas le nier, je courais pour la France et je regardais ce qui se passait dans le bateau d’à côté. Je me disais tiens, les Canadiens, qu’est-ce qu’ils font? »

Le huit du pays obtenait d’excellents résultats, notamment les titres mondiaux de 2003 et 2007 ainsi que la médaille d’or des Jeux olympiques de Pékin, et ceux-ci impressionnaient le Québécois d’adoption. « J’étais sur les mêmes bassins qu’eux. Je me disais, tiens, ça fonctionne là-bas aussi. Ça trottait un peu dans le coin de ma tête. »

Aux Jeux de Londres, après sa déception en deux de couple, l’option canadienne s’affiche sous un tout autre jour quand il croise par hasard pendant une épreuve de volleyball de plage, l’Ontarien Brian Price, barreur du huit, qui vient de monter sur la deuxième marche du podium.

Leur discussion amène Price à le tuyauter. « Il m’a donné un peu l’envie (de me joindre au programme) et m’a donné le contact de Peter Cookson (directeur haute performance à la fédération nationale). »

Quelques semaines plus tard, en septembre 2012, en vacances avec sa fiancée, il découvre pour la toute première fois la Belle Province. Au cœur d’une famille de cinq enfants, avec ses études universitaires en génie des systèmes mécaniques et sa carrière d’athlète, il n’avait jamais vraiment eu la chance de le faire.

Pensant son voyage, il rend visite à Pascal Lussier. « Il commençait tout jute à ramer et il m’envoyait beaucoup de tweets avant les Jeux de 2012. Je me suis arrêté voir Pascal et on a parlé autour de bières, chez lui, au bord de la rivière à Saint-Jean-sur-Richelieu. Il me disait qu’il fallait que je vienne, que ce serait cool et tout. »

Un saut qu’il devait faire

La séduction de Price et Lussier fonctionne. « Ç’a gentiment germé dans ma tête et, à un moment donné, en France, ça s’est un peu moins bien passé que je pensais. Je voulais quand même continuer à ramer pour la France, il y avait un huit qui se faisait et j’aime beaucoup le huit aussi, mais finalement, il fallait que je le fasse. »

La porte est grande ouverte, puisqu’il est en année sabbatique et peut ainsi respecter la règlementation de la fédération internationale d’une période de « jachère » d’un an avant de ramer pour un autre pays. Coup de chance, la période d’inactivité passe à deux ans par la suite, un frein aux transferts s’il en est un.

Quand Julien y réfléchit, son passage à l’ouest était écrit dans le ciel. « J’ai toujours voulu le faire. Même mes entraîneurs chez les juniors le diront que j’ai toujours voulu le faire. »

« Ce n’est pas seulement sur un coup de tête, parce que ça s’est mal passé en France. Oui, il y a des choses qui ne se passaient pas bien, mais comme partout, c’est toujours plus vert de l’autre côté. J’ai seulement saisi l’opportunité. »

Jusqu’ici, l’expérience est concluante et la chimie opère, d’autant plus que le Canada met notamment l’accent sur le quatre de couple, une embarcation qui n’a plus de secret pour le Franco-Québécois. « Je m’assois dans un bateau que je connais. Les automatismes reviennent vite et ça me permet de m’adapter beaucoup plus rapidement. C’est un atout. »

« J’arrive avec une expérience qui, je pense, bénéficie au bateau, aux gars qui en ont un peu moins dans ce bateau-là. Je ne rame pas avec des gars inexpérimentés, ce sont des gars qui ont des médailles olympiques en huit, qui sont déjà depuis de nombreuses années au sein de l’équipe canadienne. Mais dans cette embarcation, c’est vrai que j’ai de l’expérience. »

Arborer le blanc et le rouge de l’unifolié réjouit le résidant de Victoria. « J’ai une maman qui est très fière, ça c’est sûr, de me voir avec la feuille d’érable, mais je suis aussi très fier. C’est une expérience unique. Peu de personnes peuvent se dire qu’elles ont couru pour deux nations. »

Aux Jeux olympiques est-il tenté d’ajouter...