Perspective juridique sur la décision du CIO d’exclure le Comité olympique russe des JO
Amateurs mardi, 5 déc. 2017. 22:17 jeudi, 12 déc. 2024. 01:46Le 12 mai 2016, l'ancien directeur du laboratoire antidopage de Moscou, Grigory Rodchenkov, avait confié au New York Times que les athlètes russes avaient eu recours à un programme de dopage supervisé lors des Jeux olympiques de Sotchi en 2014. Il avait précisé qu'il s'agissait d'un programme de dopage non individuel soutenu par les autorités russes auquel il avait lui-même joué un rôle direct.
Suivant les déclarations de Rodchenkov, l'AMA avait demandé qu'une enquête indépendante soit menée par l'avocat canadien Richard McLaren, le tout pour examiner la situation présumée de camouflage d’échantillons positifs et les suspicions de dopage organisé à Sotchi. En 2016, McLaren a publié son rapport, lequel concluait que le ministère du Sport russe, avec l'aide des services secrets et des laboratoires antidopage de Moscou et de Sotchi, avait « dirigé, contrôlé et supervisé » un système de dopage d'État entre 2011 et 2015.
Subséquemment, le CIO a confié en décembre 2016 deux commissions d’enquête : une à Denis Oswald pour étudier et sanctionner les cas individuels de dopage mentionnés dans le rapport; et une autre à Samuel Schmid pour conclure à l’existence ou non d’un système organisé de dopage étatique. Après 17 mois de travaux, le rapport de Schmid a établi que la Russie avait effectivement instauré un système de dopage étatique dominant avec la manipulation des Jeux de Sotchi en 2014. Entre autres, ce rapport fait mention que certains athlètes russes bénéficiaient d’une protection contre les contrôles antidopage et que leurs échantillons pouvaient être troublés ou échangés contre des propres. Le CIO a donc dû se pencher sur les conclusions de ce rapport et prendre position quant au sort de la Russie.
Suspension du Comité olympique russe
Aujourd’hui, le CIO a suspendu le Comité olympique russe (ROC) des Jeux olympiques de Pyeongchang en raison du dopage institutionnalisé et lui a ordonné le remboursement de 15 millions de dollars (US) représentant les frais encourus pour mener les enquêtes.
Par contre, le CIO a invité les athlètes russes à participer individuellement aux Jeux d'hiver de Pyeongchang. Les Russes ne peuvent pas concourir sous leur drapeau national, car le ROC a été suspendu. Ces athlètes pourront néanmoins participer aux Jeux à titre d'athlètes indépendants, mais il revenait au CIO de définir les paramètres de leur participation et de décider sous quelle bannière ils défileraient aux Jeux. En raison de la suspension du ROC, les athlètes doivent être déclarés admissibles sous un drapeau neutre et le CIO a décidé qu’ils le feront sous l'appellation « Athlètes olympiques de Russie ». Pour être admissibles, ces derniers devront satisfaire des conditions strictes et être sélectionnés par un comité indépendant.
Lors des Jeux de Rio en 2016, certains athlètes russes avaient pu bénéficier d’un régime d'exception et faire une demande auprès du Tribunal arbitral du sport (TAS) pour y participer. Plus précisément, 271 athlètes russes sur 389 avaient finalement été admis. En ce qui concerne Pyeongchang, les athlètes n’auront pas à faire de telles demandes, mais ils pourront être admissibles notamment s’ils sont considérés intègres par le comité, s’ils satisfont les critères de qualification de leurs disciplines respectives et s’ils se soumettent à tous les contrôles exigés avant la tenue des Jeux. Par ailleurs, il est essentiel que ces athlètes n’aient jamais été disqualifiés ou déclarés inadmissibles en raison d'une infraction aux règles antidopage. Les athlètes qui apparaîtront sur la liste des invités pourront participer aux Jeux dans une tenue affichant « Athlètes olympiques de Russie » et ils pourront défiler sous le drapeau olympique. S’ils sont concernés par des cérémonies, c’est l'hymne olympique qui sera joué et non russe.
Pourquoi le ROC a été suspendu des Jeux d'hiver de 2018 à Pyeongchang?
Bien entendu, les conclusions du rapport McLaren, Schmid et Oswald ont fait pression sur le CIO en vue des prochains Jeux d'hiver de Pyeongchang. Cela dit, le réel problème est que le ROC n’a pas été en mesure de démontrer qu’il était complètement réhabilité et qu’il avait institué une nouvelle culture pour les Jeux de Pyeongchang. D’ailleurs, la plupart des agences antidopage nationales revendiquaient l’exclusion de la Russie aux prochains Jeux d’hiver. Notons que la suspension envers la RUSADA est toujours en vigueur.
En 2016, McLaren a reconnu qu'il était incapable d’établir un lien entre le dopage commandité par l'État et le ROC n’ayant aucune preuve directe que des membres du ROC étaient impliqués dans cette conspiration. Il s’agit de l’une des raisons pour lesquelles le CIO n’avait pas voulu exclure complètement la Russie lors des Jeux olympiques de Rio. Bien que l’AMA ait suggéré d’exclure totalement la Russie, le CIO n’avait pas opté pour cette mesure lors des Jeux de Rio. Plutôt, il avait permis à un certain nombre d’athlètes d’y participer. À l’aube des jeux d’hiver de 2018, les conclusions des rapports Schmid et Oswald ont contraint le CIO à agir autrement. Or, même si le CIO a finalement décidé de suspendre le ROC des Jeux d’hiver en 2018, sa décision de laisser certains Russes y participer sous une bannière neutre est essentiellement la même que celle prise lors des Jeux de Rio. Cette décision démontre que le CIO se concentre davantage sur le comportement des athlètes individuels que sur le comportement de l'État russe. Il n’en demeure pas moins que la suspension du ROC pourra être levée à la fin des Jeux si elle parvient à démontrer que ses démarches sont véritablement indépendantes et satisfaisantes.
Procédure d'appel pour la Russie
La Russie dispose de 21 jours pour faire appel de cette décision devant le TAS alors que les Jeux paralympiques commenceront à Pyeongchang le 9 février prochain.
Qu'est-ce que cela signifie pour le CIO?
Pour le CIO, les conclusions de ces rapports d’enquête démontrent qu'il y a eu une attaque fondamentale « à l'intégrité des Jeux Olympiques et du sport en général. » Or, ce n’est pas la première fois que le CIO banni un pays de ses Jeux. En effet, le CIO a déjà exclu l’Afrique du Sud des olympiques parce qu’elle avait une politique d’apartheid.
La gravité des allégations contenues au rapport McLaren avait incité le CIO à mener d’autres enquêtes. C’est notamment pourquoi le CIO avait manifesté en 2016 son intention d’opérer une réanalyse des échantillons d'urine des athlètes russes lors des Jeux de Sotchi et de Londres. Depuis un mois, la commission Oswald a suspendu 25 athlètes russes, dont 11 médaillés. Parmi ces 25 athlètes, plusieurs ont porté leur suspension en appel devant le TAS.
Qu'est-ce que cela signifie pour l’AMA?
Le travail de McLaren, Schmid et Oswald illustre que l’AMA peut mener des enquêtes rigoureuses. Suivant la publication de ces rapports, l'AMA avait suggéré l'exclusion de la Russie à toutes compétitions internationales. Or, même si l'AMA a formulé des recommandations, ce n’est pas elle qui décide ultimement. C'est pour cette raison que le CIO n’était pas contraint par les suggestions de l'AMA et a pu en décider autrement pour Rio et Pyeongchang. Quant à lui, le Comité international paralympique a suivi les recommandations de l'AMA en excluant complètement la délégation russe des Jeux paralympiques de Rio et de Pyeongchang.
Qu'en est-il de la participation des athlètes russes lors des compétitions internationales autres qu'olympiques et paralympiques?
Tel que mentionné précédemment, l'AMA a suggéré l'exclusion de la Russie à toutes compétitions internationales. Or, même si l'AMA a formulé des recommandations, elle n'a pas le dernier mot. C'est pour cette raison que le CIO n’est pas contraint par les recommandations de l'AMA et peut en décider autrement. Ainsi, l'AMA peut faire des recommandations, mais les sanctions relèvent du pouvoir de l’organisme responsable de la manifestation ou de la fédération visée.
Le CIO et le CIP ont statué quant au sort des athlètes russes lors des Jeux olympiques et des Jeux paralympiques de PyeongChang. Toutefois, puisque l'AMA a un mandat indépendant des organisations sportives et des gouvernements, la participation des athlètes russes pour toutes autres compétitions internationales devra être gérée au cas par cas par l'organisme international qui présidera l'évènement en question. Cette histoire de dopage étatique est donc loin d'être terminée.
Quel impact cette décision peut avoir sur la Coupe du monde de soccer de 2018 en Russie?
Il serait plutôt improbable que la Coupe du monde 2018 soit annulée et il y a peu de chance que la FIFA relocalise cette compétition. Il est cependant possible que la Russie soit exclue, partiellement ou totalement, des compétitions internationales.