Gabriel Slythe-Léveillé, le diamant brut de l'athlétisme québécois
Athlétisme dimanche, 29 nov. 2015. 09:17 jeudi, 12 déc. 2024. 16:26D'une personne riche parce qu'elle a hérité, on dira qu'elle est bien née. Elle doit sa fortune à son héritage. Si elle travaille fort et intelligemment en suivant un plan bien élaboré, elle pourra ensuite faire fructifier cette fortune.
La même chose s'applique au niveau des aptitudes et qualités physiques d'un être humain. Un enfant né de parents sportifs et ayant des prédispositions sportives au-dessus de la moyenne possède déjà dans ses gênes un avantage sur les autres. C'est ensuite à lui de faire fructifier cet héritage grâce à l’entraînement et à la détermination.
Gabriel Slythe-Léveillé fait partie de ce groupe ayant un bagage génétique avantageux pour celui qui veut se consacrer à une carrière sportive. Son père, Pierre Léveillé, fut membre de l’équipe olympique canadienne au 400 mètres haies des Jeux olympiques de Los Angeles en 1984. Il a également remporté six médailles au Championnat de sport interuniversitaire canadien sur 600 m et détient le troisième meilleur chrono de l’histoire québécoise au 400 mètres haies. Seuls Alexandre Marchand (1999) et Rova Rabemananjara (1997) ont fait mieux que lui depuis.
Sa mère, Christine Slythe, fit également partie de l’équipe canadienne d’athlétisme des Jeux de Los Angeles (400 m haies) en plus d’être de ceux de Séoul, aussi sur 400 mètres haies. Elle avait également participé aux Championnats du monde d'Helsinki en 1983. Elle possède la deuxième meilleure performance québécoise de l’histoire sur cette dernière distance.
Pas étonnant de voir leur fils, Gabriel, faire aussi bien au 400 mètres haies. À seulement 22 ans, il vient tout juste d’être honoré au plus récent gala annuel de la Fédération québécoise d’athlétisme (FQA) dans la catégorie Espoir masculin. Les résultats de sa dernière année de compétitions sont probants. Il a été sacré champion canadien senior à Edmonton en juillet, il occupe le cinquième rang national du 400 mètres haies et a été identifié comme un athlète élite sur le programme d’excellence de la FQA. Il est déjà classé neuvième de tous les temps au Québec.
À 30 ans d’écart, Pierre Léveillé et son fils Gabriel sont le tout premier duo père-fils champions canadiens de l’histoire dans la même épreuve d’athlétisme. Un exploit à la fois rare et remarquable. Le plus jeune des sprinters sait que les comparaisons sont inévitables avec ses parents, mais il refuse de se placer une pression supplémentaire sur les épaules.
« Ce sont les gens qui s’attendent à ce que je fasse aussi bien qu'eux. Mon père et ma mère ne m'ont jamais mis de pression pour performer. Lorsque j’étais plus jeune, ils m’ont encouragé à découvrir et à essayer l’athlétisme. J’ai vraiment adoré. Autant qu’eux en fait! Faut dire que toute ma vie, j’ai été entouré d’athlètes ou d’entraîneurs qui évoluaient dans le monde de l’athlétisme. C’est un milieu fascinant. Si un jour, je perds la flamme et que je décide de tout arrêter, je sais que mes parents accepteront parfaitement mon choix car tout ce qu’ils veulent, c’est que je sois heureux », explique Gabriel.
Il ajoute que ses parents lui ont transmis des valeurs importantes qui l’aident à mener une vie équilibrée et à performer en piste. « Que ce soit au plan de vue social, académique ou sportif, mes parents sont des personnes très déterminées. Ils respirent la confiance et n’ont pas peur du travail. Ils vont s’investir totalement dans tout ce qu’ils entreprennent. Ce furent de grands sportifs, mais ils ont également accompli de grandes choses dans la vie de tous les jours. Ma mère est un médecin respectée à l’hôpital de Saint-Jérôme. De son côté, mon père est parti de peu de choses pour bâtir une entreprise respectée et reconnue de tous ceux qui pratiquent la course à pied », ajoute-t-il.
Il a bien raison. Le nom de Pierre Léveillé est solidement établi chez les coureurs. Il a su transporter sa passion pour la course vers un cadre plus mercantile en devenant le président et propriétaire unique de la Boutique Endurance, à Montréal. Il s’agit du plus ancien commerce de course à pied de Montréal puisqu’il a fêté son trentième anniversaire il y a quelques jours. Boutique Endurance a participé à l’évolution d’un sport pratiqué à l’époque par un nombre limité et ciblé de coureurs vers l’activité de masse aujourd’hui devenue mode de vie par des centaines de milliers d’hommes et de femmes au Québec.
Gabriel Slythe-Léveillé donne un coup de main à la boutique de son père lorsqu’il a du temps libre. Mais la majeure partie de son horaire se déroule à l’Université de Sherbrooke où il fait partie de l’équipe d’athlétisme du Vert et Or. C’est là également où ses parents ont couru. À nouveau, il ne craint pas les comparaisons.
« Pas du tout. Cela ne me fait pas peur. Le Vert et Or est le meilleur endroit où s’entraîner pour mon épreuve. D’autre part, l’entraineur en chef, Richard Crevier, est le même qui a coaché mon père. C’est quelqu’un en qui j’ai pleinement confiance. J’avais envie qu’il s’occupe de moi. David Montreuil est celui qui bâtit mes plans d’entrainements, mais monsieur Crevier supervise le tout. »
Pierre refuse de trop s’immiscer dans la carrière de son fils et préfère garder une certaine distance. Il se dit heureux et fier de voir son fils exceller sur une distance qu’il a tellement appréciée mais évite de jouer le rôle d’entraîneur. Il ne veut rien mélanger!
« C’est un trip que j’ai déjà vécu. Je l’accompagne à chacune de ses compétitions, je lui donne des conseils, l’encourage et répond à ses questions, mais je suis son père d’abord et avant tout. Gabriel est un grand compétiteur qui performe au bon moment. Même lorsqu’il était ti-cul il aimait toujours marcher et courir devant les autres. Beaucoup de crédit doit également aller à sa mère, Christine, qui a vécu de grandes compétitions internationales. »
Le fils aime la présence apaisante de son père avant les compétitions. Il a tendance à être stressé et à se comparer aux autres coureurs avant même de prendre le départ. Son père lui conseille alors de demeurer concentré sur sa seule performance, de demeurer dans sa bulle et de courir pour lui-même.
Après tout, lorsque le coup de départ se fait entendre, Gabriel est seul dans son corridor. Il doit courir contre la montre et non contre les autres.
Lorsqu’on lui parle de ses objectifs futurs, Gabriel (51.50) ne se cache pas qu’il aimerait battre le meilleur chrono de son père au 400 mètres haies (50.32). Il affirme qu’il pourra ainsi participer à des compétitions internationales s’il parvient à devancer son paternel.
« Il est au courant. C’est dans ma mire et je vise encore plus loin », précise-t-il en riant!
La remarque de son fils fait également sourire Pierre. Il croit cependant que Gabriel devrait chercher à atteindre d’autres objectifs de participations et de compétitions. Il est convaincu qu’au passage, il battra son record.
« En fait, il m’aurait sûrement battu cette année, mais les conditions climatiques n’ont pas toujours été parfaites lors de ses courses », avoue-t-il conciliant.
Les deux s’accordent sur le fait que Gabriel est loin d’avoir atteint son plein potentiel au 400 mètres haies. Après tout, le jeune homme ne court cette distance que depuis à peine deux ans après avoir excellé au 110 mètres haies. Pierre explique que son fils est déjà plus rapide que lui au même âge. Il est également un meilleur technicien puisqu’il peut franchir les haies en alternant ses jambes alors qu’il n’a été capable de le faire qu’à l’âge de 24 ans. Il explique que son fils doit travailler à améliorer son endurance pour être capable de maintenir sa vitesse jusqu’à la fin.
« Pour le moment, sa vitesse est bonne jusqu’à 300 mètres mais il ralenti sur la centaine de derniers mètres. Moi, j’étais un coureur de demi-fond et j’avais de l’endurance naturelle pour un 1500 mètres. Je courais des 600 mètres à l’entrainement alors que Gabriel court des 300 mètres. Il va prochainement commencer à faire du 600 mètres pour développer son endurance et l'aider à terminer le dernier 100 mètres en force. La différence est là! Il doit franchir les dernières haies plutôt que de flotter au-dessus en raison de la fatigue. C’est là ou un coureur gagne ou perd un temps précieux. »
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Une participation aux Jeux olympiques de Rio l’an prochain est-elle envisageable? Tant le père que le fils croient que ce sera difficile, mais pas impossible. À l’unisson, ils expliquent ensuite qu’on a tort de résumer la carrière d’un athlète aux seuls Jeux olympiques. Gabriel est le plus convaincu à ce sujet.
« Souvent, lorsqu’on parle d’athlétisme, les gens pensent immédiatement à une participation aux Jeux olympiques. Pourtant, il y a de nombreuses autres compétitions très importantes. Les Jeux panaméricains par exemple. Dans deux ans, j’aimerais bien être aux Jeux de la francophonie. Il y a également les Jeux du Commonwealth et les Mondiaux universitaires. Ce sont toutes des compétitions internationales moins médiatisées que les olympiques mais toutes aussi importantes à mes yeux dans le cheminement d’un athlète. »
Pierre Léveillé aimerait bien voir son fils prendre la relève à la Boutique Endurance lorsque sa carrière de coureur sera terminée dans quelques années.
« Je lui ai déjà posé la question pour être certain de ne pas vendre le magasin au premier acheteur intéressé. Gabriel m’a répondu par l’affirmative. C’est bien puisqu’il étudie déjà en administration et pourra poursuivre la croissance de notre commerce. Mais pour le moment, je lui laisse le temps de se concentrer sur sa carrière d’étudiant et d’athlète », conclut celui qui a connu trois carrière distinctes de coureurs.
En effet, après ses succès au 400 mètres haies, il est devenu un spécialiste du 800 mètres et 1500 mètres sous la supervision de l’entraîneur Benoît Leduc. Il est le seul coureur de l’histoire canadienne à avoir été médaillé au 400 mètres haies (or) et au 1500 mètres (bronze), deux épreuves totalement différentes qui nécessitent une grande polyvalence. Il détient, depuis 1990, le record québécois du kilomètre (2:19.85). Enfin, le voici marathonien. Il a d’ailleurs participé au plus récent marathon de Boston.
Gabriel Slythe-Leveillé est encore loin du palmarès étoffé de ses parents. Il est cependant réaliste de croire qu'il a en lui le potentiel pour les surpasser et devenir un des grands coureurs de l'histoire québécoise et, on lui souhaite, canadienne. Cessons de nous intéresser à l'athlétisme qu'aux quatre ans lors des Jeux olympiques et suivons le parcours prometteur de ce jeune homme. Une chose est certaine, un père et une mère veillent avec amour sur ce diamant brut qui ne demande qu'à être taillé et poli avant de briller sur les plus belles scènes du monde.