MOSCOU (AFP) - L'arrestation d'un Russe, soupçonné de trucage lors JO d'hiver de Salt Lake City, a fait ressurgir le spectre de la mafia sur les décombres du sport soviétique, alors que les patineurs mis en cause ont menacé vendredi de porter plainte contre les télévisions américaines accusées de salir leur image.

La joueuse de tennis Anna Kournikova a refusé d'évoquer le sujet de la mafia dans le sport russe, expliquant sa position d'un "je suis Russe et il me faudra retourner en Russie" qui en dit long.

Alimzhan Tokhtakhounov, accusé d'avoir truqué les compétitions de patinage artistique des Jeux d'hiver 2002 à Salt Lake City avec l'aide des fédérations française et russe, a été arrêté mercredi en Italie. Il est soupçonné d'appartenir à une mafia russe et selon Kournikova, "on peut le dire".

Le FBI accuse Tokhtakhounov d'avoir corrompu la juge française Marie-Reine Le Gougne afin qu'elle favorise les Russes Elena Berezhnaya et Anton Sikharulidze lors de l'épreuve de couple. En échange, le juge russe devait assurer la victoire des Français Marina Anissina-Gwendal Peizerat en danse.

Outré par ces accusations, Sikharulidze a affirmé qu'il était prêt à "porter plainte contre les télévisions américaines" qui l'utilisent avec sa partenaire pour illustrer des reportages sur l'ingérence de la mafia russe dans le mouvement olympique.

Tokhtakhounov, "l'homme invisible"

Selon Interpol, Tokhtakhounov serait notamment impliqué dans divers trafics (stupéfiants, armes, objets d'art).

Et si Sikharulidze a démenti avoir vu ou s'être entretenu avec Tokhtakhounov, des joueurs de tennis russes ne cachent pas les relations qu'ils entretiennent avec lui.

Evgeny Kafelnikov a qualifié Tokhtakhounov de "bon ami" et a insisté sur le fait que ce dernier "ne parrainait aucun athlète russe".

Une photo publiée vendredi dans la presse russe et datée de 1999 montre Kafelnikov et Tokhtakhounov, mais aussi Marat Safin, ainsi que l'ancien finaliste ukrainien de Roland-Garros Andreï Medvedev, se tenant familièrement par l'épaule.

Tokhtakhounov, un Russe né en Ouzbékistan qui jouit également d'un passeport israélien, est un membre éminent de la jet-set russe, même s'il ne vit plus en Russie depuis 1990.

Pourtant, le président du Comité olympique russe (ROC) Leonid Tyagachev a affirmé "n'avoir jamais vu Tokhtakhounov auparavant".

Le ministre des Sports Vyacheslav Fetisov et la fédération russe de patinage artistique ont également nié tout contact entre les patineurs et Tokhtakhounov.

Quoi qu'il en soit, cette affaire ravive des souvenirs peu valorisants du sport russe qui ont émaillé la chronique criminelle depuis l'effondrement de l'URSS.

Sport, corruption et racket

En avril 1994, c'est l'assassinat d'Otari Kvantrishvili, président de la fédération russe de lutte, mais également mafieux reconnu et président du Fonds sportif russe, une structure destinée à recueillir de l'argent pour le sport national grâce à des exonérations de taxes douanières.

Le président de la fédération russe de hockey Valentin Sych devait également succomber sous les balles en avril 1997.

Les anciennes républiques soviétiques n'ont pas échappé au carnage.

En Ukraine, le président du Shakhtar Donetsk, Akhat Bragin, a été tué par l'explosion d'une bombe dans sa loge au stade durant un match du championnat 1995.

En 2000, le président du club de football Constructorul (Moldavie), Valery Rymar, a succombé à une rafale d'arme automatique. A cette occasion, le public a appris que Rymar lui-même avait passé dix ans en prison.

Les assassinats ne sont pas la seule manifestation criminelle dans le sport en ex-URSS où la corruption et le racket ont également bonne place. Selon la presse russe, jusqu'à 80% des fonds circulant dans le football russe serait de l'argent sale.

Et le monde criminel s'est infiltré jusque dans les plus hautes sphères du pouvoir sportif puisque l'ancien ministre des Sports Boris Ivanyuzhenkov a reconnu avoir fait partie de l'association mafieuse moscovite Podolsk.