Le meilleur travail va à la personne qui peut le faire sans distribuer de l'argent ou revenir avec des excuses. -- Napoleon Hill Selon la façon dont ils gèrent une partie de hockey mineur et l'angle où l'on se place, on peut dire deux choses des arbitres : ils ont dotés d'une logique et d'un sens du hockey indiscutables ou ils sont bons à rien. La seule façon de connaître la vraie réponse était d'entrer dans cet univers uniquement masculin: ce qui se dit dans la chambre de hockey reste dans la chambre? N'entre pas qui veut, encore moins une femme? Exception accordée par les hommes au chandail rayé.

Pour un tournoi Midget de onze jours, ils décident si deux joueurs sont trop près pour une mise au jeu. Ils séparent des joueurs sur le point de laisser tomber les gants. Ils ne permettent à personne d'entrer dans leur cercle autour du banc des marqueurs. Quotidiennement, l'arbitre maîtrise la glace, les juges font de la ligne bleue leur territoire. Vaste opération de force. Pourquoi n'arrêtent-ils pas? C'est simple, à cause de la game. Ils aiment cette foutue game. Le charme de la compétition est une drogue à laquelle ils ne peuvent résister, comme les joueurs. La frénésie est la même, seul l'uniforme - et l'implication - diffère.

Après leur partie, un arbitre et deux juges de ligne se préparent pour l'entrevue gentiment accordée. J'ai quinze minutes à perdre. La promenade derrière l'espace réservé à la Zamboni ne chasse pas le trac. Alors que l'énorme machine reprend lentement sa position derrière la glace, le long couloir qui mène à la chambre des arbitres devient alors un défi. La Zamboni laisse échapper un nuage de vapeur devant moi et les portes de la patinoire sont refermées avec fracas. Je sursaute, la musique gronde dans le Centre et des joueurs Américains assaillent la glace.

Au loin, je reçois un signal : Dave, le responsable des arbitres, me fait signe d'approcher : il serre ma main et me souhaite la bienvenue. Pendant une seconde, je veux tourner les talons. Mais je le suis et je ne l'ai jamais regretté. Cependant, à mon entrée, la surprise est totale.

Ils ne sont pas trois, mais dix. Des poches de hockey éparpillées un peu partout, des murs de béton, un local grand comme ma main et pourtant, c'est leur coin. Quelques-uns sont à moitié habillés. D'autres arborent un look décontracté et propre; ils sont sûrement en congé. C'est plus qu'une chambre d'arbitres, c'est une confrérie. Dans quelle galère…?

Alors que j'ouvre nerveusement mon pince-notes, Dave me présente et j'atteins le point de non-retour. Mes premiers mots sont fébriles mais aucune malice n'est ressentie. Dans le brouhaha constant et une partie en bruit de fond, je parviens à tirer quelques confidences. Comme les joueurs, ils semblent tout partager, l'un connaît l'autre comme s'il l'avait tricoté. J'allais avoir la confirmation bientôt.

Le rookie du groupe, Mathieu, fait le travail depuis quatre ans. Le doyen, André, a 28 ans de service. Il n'y a pas d'autre mot pour décrire ce qu'ils font. Je pose les questions de base, mais je sens qu'ils veulent passer aux vraies affaires. Leur motivation, c'est quoi? Tous les petits garçons veulent joueur au hockey, mais qu'est-ce qui pousse un jeune à vouloir devenir arbitre au hockey? Silence dans le vestiaire.

š Ce qui nous pousse? On est masoš, déclare Martin, et un éclat de rire envahit la chambre. C'est ce qu'il fallait pour que je sois complètement à l'aise. š C'est simple. Pour la game. On n'aime ça š, insiste Dave. Il le redit : š On aime ça š.

Cependant, peut-on aimer quelque chose qui peut rapidement tourner au cauchemar? Doit-on aimer la game si tu passes ton temps à te faire insulter, menacer et même recevoir un lancer d'un joueur frustré qui vient de se faire agrafer un deux minutes?

š Ouais š.
š Bien oui š.
š Absolument š.
š Pour sûr š.

On ne peut pas avoir plus clair.

Ils ont des comptes à rendre à Hockey Québec et la région de l'Estrie. Chacun porte un brassard orange en alternance. Ce qu'ils font? Leur job. Point à la ligne.

Peut-on imaginer que ce job a un charme quelconque? Ici, au Tournoi International Midget, c'est l'international, selon Denis. š Les Russes, les Tchèques, c'est beau à voir.š Comme le système européen est établi de sorte que les joueurs ne font pas de partie avant 10 ou 12 ans (ils font uniquement de la technique jusqu'à ce stade), le spectacle est bien différent et palpitant. Pensez à l'Avalanche Peter Forsberg, au Capital Jaromir Jagr, à la panthère Pavel Bure, au Devil Patrick Elias et le requin Teamu Selanne lors de ces tournois jeunesse…

Marc et Alain, pour leur part, déclarent que le plus beau moment est le match d'ouverture. Une fois l'interminable protocole derrière eux, c'est un enjeu de taille, avec une foule frémissante, où réflexe et bonne disposition sont obligatoires. Toutefois, l'esprit agréable du jeu peut rapidement s'assombrir. Dès qu'ils ouvrent la bouche, visitent la cabine des marqueurs ou dévisagent un entraîneur enragé, leur chandail -et leur statut - sont mis à rude épreuve.

Il existe un mode de pensée stipulant que lorsqu'on pense à un arbitre ou un juge de ligne, nous les imaginons toujours en situation de conflit avec un joueur ou un entraîneur sur le point d'exploser. Est-ce vraiment ainsi? Sur quelles règles se basent-ils? Comme je n'avais pas mon livre des Règlements de Hockey Québec, des maximes décrivant leur ligne de conduite allaient convenir. Travail ardu mais ô combien instructif.

Dans la vie, tu ne peux pas serrer une main avec un poing fermé. -- Indira Gandhi

Un va-et-vient incessant dans la chambre m'amène à recueillir des commentaires sur ce qui est vraiment désagréable dans leur job. Tolérance zéro. L'inacceptable. Je les préviens : je veux les entendre. J'insiste. Let's go. Dave casse la glace :

š Ce qui est inacceptable? Un seul mot : la violence. Sous toutes ses formes š. Les coups de bâtons sont plus saligauds durant un Tournoi, et le désir de vaincre résulte souvent en deux minutes passées au banc des punitions. Conséquence? Seule la partie le dira.

š Oui, il y a des coups physiques, mais le verbal est plus fort. Je me suis fais traiter de fucking frog par un joueur tantôt. Pourquoi? Pourtant, je patine pas comme une grenouille š admet Dave, alors que tous rigolent. Il continue : š C'est bien pire entre des joueurs adverses. C'est incroyable ce qui peut se dire. Pour moi, face de pizza est un manque flagrant de respect. Imaginez le reste …š.

La jeune recrue Mathieu intervient sur ce point et fait taire toute la chambre. š La jeunesse est moins acceptable qu'avant.š š Les jeunes sont beaucoup trop couvés, trop axés sur la compétition, rajoute Richard. Où est donc rendu le plaisir de jouer? Va donc savoir.š Je signale qu'on va aborder le sujet des parents bientôt. š Yes sir š, rajoute une voix jusque là inconnue, derrière moi. Nouvel éclat de rire général.
Marc amène un argument de taille à la conversation que tous ses collègues approuvent : le problème avec la foule? Beaucoup de gens ne comprennent pas et ne respectent pas les règlements du hockey . Juste à les entendre š. Mais qu'entendent-ils donc?

š Y a deux équipes sur la glace! Y a deux équipes sur la glace! š hurle Martin à la blague. šEst-ce ma faute si une équipe joue vraiment de façon agressive et que je sévis plus sur leur côté? š T'as tu tes lunettes le ref? š š Bien oui, je les ai! š rétorque Dave.

N'oubliez pas les termes plus corsés et fréquents : pourri, vendu, colon, cave. Accompagnés de blasphèmes bien choisis, cette colère provient de gens censés montrer l'exemple aux joueurs. Cependant, Dave lève la main et pèse ses mots : š Par contre, j'aime mieux que le monsieur crie après moi plutôt que de le voir fesser sur sa femme ou son kid. Et c'est vraiment ce que je pense .š Le croyez-vous?

Arrêtez de vouloir perfectionner votre enfant; essayez plutôt de perfectionner votre relation avec lui. -- Dr. Henker

Sur le banc, il y a les joueurs. Derrière les joueurs se trouve l'entraîneur. Derrière l'entraîneur se trouve un auditoire dont la mission de chaque individu qui la compose ne peut qu'ajouter au plaisir du sport - ou retourner le tout en véritable cauchemar. Cet auditoire est nommé parents des joueurs.

La majorité d'entre eux ne posent aucun problème. Ils respectent le sport, les organisations, et encouragent positivement leur enfant. Cependant, une minorité visible - trop visible ! - font du hockey mineur un véritable cirque, où la frustration et les espoirs les plus fous passent par un fils souvent coincé entre l'autorité parentale et celle sur la glace. Ce type de parent est totalement imprévisible et sa constitution ressemble en tout point à celle de l'Incroyable Hulk : ne les mettez pas en colère. Vous risqueriez de le regretter. Exagération?

Que penser de cette supplémentaire vécue par Dave où, dans un match des plus enlevants, des parents ont littéralement sauté sur la glace? Que penser de cette mère hystérique, agrippée à la vitre de la bande, les pieds dans le vide, hurlant à l'arbitre, devant un auditoire estomaqué? Le fils de 15 ans, assis au banc des punitions, avait peine à lever la tête. A la sortie de l'aréna, fiston traversa le portique bondé et lança sa poche de hockey vers sa mère :š La prochaine fois, ferme-la donc! Tu me feras plus jamais honte comme ça! š Cette maman n'a jamais remis les pieds à la patinoire du reste de la saison.

Que dire des arbitres qui quittent l'aréna pour arriver à leur voiture vandalisée, un livre des règlements de Hockey Québec bien en vue sur le capot? Que dire de ce parent qui a accusé des entraîneurs et des arbitres d'avoir brisé la carrière de son fils qui jouait alors dans le CC? Que dire des parents qui désirent s'assurer que leur fils n'écopera pas de punition pour un petit magot en échange et repartent frustrés car la transaction a échoué? Ces anecdotes ne sont pas tirées de films. Ils représentent le vécu des hommes qui supervisent une partie de hockey. Cette démence parentale est-elle sur le point de stopper? Absolument pas. Qui en sont les victimes? La société. š Nous n'avons pas vraiment affaire à eux, mais ça peut arriver, souligne Richard. mais quand ça arrive, ouf! š. š Au lieu de faire des gérants d'estrade, ils devraient faire leur job de spectateur š, rajoute Dave pour conclure. Soudainement, il fait plus chaud.

Notre travail n'est pas d'arranger correctement les choses mais de les voir s'arranger correctement. -- Eric Butterworth

Dans de telles conditions, qui est l'allié de l'arbitre? šLes deux gars habillés comme lui š, répond Marc, sans hésiter. š On est une équipe nous aussi š. Ses yeux percent comme un laser, et nul besoin de lui demander s'il est franc dans ses dires.

Devant leur assurance, j'avançai la notion de mauvais call, car majorité de spectateurs accusent l'arbitre de décisions douteuses. Les juges de ligne deviennent alors une couverture pour bien paraître. André m'interrompt immédiatement : š Woh, Madame. On ne reste pas sur une mauvaise décision. Je consulte mes juges de ligne justement pour ça et, si c'est le cas, je renverse ma décision. Je n'ai pas peur de le faire et ce ne sont pas les cris dans la foule qui me font changer d'idée. š

š On est plus des modérateurs plutôt que des imposeurs de loi, et les gens ne voient pas toujours cet aspect du travail š, commente Richard. Le travail d'arbitre et de juge de ligne n'en est-il pas un de power trip? Si c'était le cas, Drummondville subirait les mêmes foudres que ces officiels qui se font escorter par les policiers en fin de match. Oui, il existe de bien mauvais refs. Les bons payent-ils pour eux? Garanti sur facture.

La notion de sacrifice est souvent appliquée par les personnes les plus imprévisibles. -- Anonyme

Le font-ils pour la gloire? Pour passer du temps loin de la maison? Pour l'argent? Ils s'impliquent corps et âme dans un Festival de hockey novice durant quelques jours et versent leur salaire d'environ 18 dollars par partie à la cause du Festival. Résultat : les 50 arbitres de la région permettent d'amasser un montant de 900 dollars pour des gamins fervents de hockey mais qui n'ont pas les sous pour jouer. Grâce à cette initiative, un petit champion chaussera ses patins, se fera des amis et jouera.

Est-ce pour remplir un agenda vide? š Je prends des vacances pour venir ici durant dix jours š, fait remarquer Dave. Qui prend des vacances? Martin, Denis et Michel lèvent la main. Les autres sont aux études ou travaillent, mais leur cœur est ici à temps plein.

La notion de temps est bel et bien présente, alors que Dave n'a aucune honte à admettre qu'il passe plus de 100 heures au Tournoi. Richard a arrêté chez-lui pour souper et a pris le temps de donner le bain aux enfants. André est à la retraite et pourtant il est ici depuis ce matin et a vu tous les matches. Il est maintenant 22 heures.

La perfection ne consiste pas à faire des choses extraordinaires, mais à faire des choses ordinaires de façon extraordinaire. -- Angelique Arnauld

Les arbitres sont-ils parfaits? š Quand c'est émotif, souligne Alain, c'est plus difficile, mais il faut que tu continues š. Les supplémentaires apportent une pression. La sueur, la fatigue se font sentir et la douche est aussi bonne pour les arbitres que les joueurs. š Il faut arrêter de protéger le joueur, il faut protéger le hockey š, ajoute André. Tous le regardent. Le sport est-il en danger? Son expression en dit long. Noté.

Je suspecte qu'un plan de match est sur le point de s'exécuter : la traditionnelle bière entre collègues, après les parties est un must, tout comme les entraîneurs et les bénévoles du Tournoi. Avant qu'ils ne partent en ville pour appliquer ce rituel, je referme mon pince-notes et les remercie. On me montre fièrement, avant de partir, une feuille froissée et griffonnée, collée derrière la porte : lorsqu'un arbitre trébuche sur la glace, il doit payer la tournée à ses deux juges de ligne. C'est un rituel implanté depuis des lunes et les gars insistent š C'est vrai! Ecris-le! Ecris-le! š C'est fait, messieurs!

J'aurais pu rester encore longtemps à partager et bavarder avec eux. Personne ne m'a demandé de partir. Mais j'ai quitté poliment ces lieux sacrés, bondés, pour les laisser se retrouver entre eux. Trente minutes auparavant, je ne connaissais rien de la structure interne de l'arbitrage.

Dès mon entrée, je me sentais bien seule au milieu de ce vestiaire où la testostérone règne en permanence. Chose bizarre, c'est en quittant que la solitude me gagna le plus. Respect, écoute et professionnalisme furent les mots clés de cette rencontre. Par contre, je suis bien heureuse d'avoir eu la chance - et l'opportunité - de faire exception à la règle.

Cet article est dédié à Stéphane Chaput, responsable des marqueurs de la région de Drummondville. Atteint de paralysie cérébrale, Stéphane donne toujours son maximum pour les arbitres et cet honneur est largement mérité.