Herb Carnegie, ami de Jean Béliveau, était aimé à Québec
Hockey mardi, 23 févr. 2021. 07:00 mercredi, 11 déc. 2024. 23:53MONTRÉAL - Il y a d’abord eu Jackie Robinson, au baseball, et Willie O’Ree, au hockey, mais il ne faudrait pas oublier Herb Carnegie, qui a fait tomber les premiers blocs de la barrière raciale du sport professionnel grâce à ses exploits en sol québécois.
Ce n’est pas qu’une merveilleuse coïncidence que les percées historiques de Robinson et O’Ree soient liés au Québec. Tout comme eux, Carnegie a été, dans l’ensemble, très bien accueilli en Abitibi, à Shawinigan, à Sherbrooke et à Québec, une ville qui gardera une place spéciale dans son cœur jusqu’à sa mort en 2012.
Carnegie a dominé le hockey semi-professionnel dans les années 1940 et au début des années 1950. Pièce maîtresse de la trop méconnue Black Line – complétée par son frère Ossie et Manny McIntyre – il a mérité trois titres de joueur par excellence.
Il prouvait ainsi qu’il ne s’était pas laissé abattre par une remarque dévastatrice – et parfois contestée - de Conn Smythe dont il avait eu vent tôt dans son parcours. « Je le prendrais dans mon équipe dès demain si quelqu’un pouvait lui rendre la peau blanche », avait mentionné le propriétaire des Maple Leafs de Toronto.
En 1948, un an après l’ascension marquante de Robinson des Royaux de Montréal aux Dodgers de Brooklyn, Carnegie a cru qu’il allait abattre le même mur dans LNH. Invité au camp des Rangers de New York, Carnegie savait qu’il ne pouvait pas rater la chance qu’il attendait depuis des années.
D’après le récit relaté dans son livre A Fly in a Pail of Milk, Carnegie, alors âgé de 29 ans, a été l’un des meilleurs joueurs au camp tenant tête aux vedettes du club. Pourtant, les dirigeants lui ont plutôt offert un poste dans les mineures à un salaire bien inférieur de celui qu’il touchait au Québec.
Déjà père de famille, Carnegie a refusé trois offres peu lucratives pour les filiales des Rangers, car il était convaincu d’avoir prouvé sa valeur.
Le centre gaucher est revenu poursuivre sa carrière au Québec et l’occasion d’accéder à la LNH s’est envolée à tout jamais. Il aura fallu attendre encore 10 ans avant de voir O’Ree être rappelé de Québec pour devenir, en 1958, le premier Noir à jouer dans la LNH dans le cadre de deux rencontres face au Canadien à Montréal.
De l’avis de plusieurs experts, Carnegie serait pourtant devenu un joueur de premier plan dans la LNH. Ils sont aussi nombreux à croire que la Black Line en entier se serait imposée dans ce circuit. Toutefois, le rempart racial était malheureusement trop difficile à abattre à ce moment.
Ce verdict provient de joueurs très respectés avec Jean Béliveau au sommet de la liste.
« Je crois qu’il a été exclu de la LNH en raison la couleur de sa peau », a statué Béliveau, sans détour, dans la préface du livre de Carnegie. Après tout, Béliveau a fait le saut avec le Canadien à partir de la même ligue dans laquelle Carnegie a excellé.
Avant de se joindre au Tricolore, Béliveau a d’ailleurs été le coéquipier de Carnegie pendant deux saisons dans l’uniforme des A’s de Québec et une merveilleuse amitié s’est développée entre les deux hommes.
« Herbie, je ne vais jamais l’oublier. Jean l’aimait beaucoup et moi aussi. Pour chaque match qu’on allait au Colisée, on arrêtait chez lui pour le prendre », a raconté, la semaine dernière, au RDS.ca, Élise Béliveau dont le mari est décédé en 2014.
Le traitement injuste réservé à Carnegie déplaisait donc à Béliveau et sa compagne.
« C’est certain qu’on aurait voulu qu’il monte dans la LNH, mais dans ce temps-là, ils n’en prenaient pas des Noirs dans la LNH... », a convenu Mme Béliveau.
« Hey que ça m’avait choquée, je ne pouvais pas croire que ça arrive à un bon joueur comme lui. Il aurait été le premier et ç’aurait été parfait parce que c’était tout un monsieur », a ajouté celle qui était justement tombée sur des photos de son mari et Carnegie quelques jours avant l’entrevue.
En quelque sorte, Mme Béliveau se console par le fait que Carnegie était très populaire à Québec.
« Oh mon dieu, je pense qu’il n’y avait aucune personne qui ne l’aimait pas à Québec! Il était fin avec tout le monde et les gens venaient le saluer ‘Hi, Herbie’ quand on allait manger avec lui », a-t-elle raconté.
Selon Bonin, Carnegie était meilleur qu'O'Ree
Étant donné que six et même sept décennies se sont écoulées depuis ses prouesses sur la patinoire, les témoins ne courent plus les rues. Mais Marcel Bonin et Jean-Guy Talbot, deux forces de la nature, sont toujours là pour en témoigner.
Bonin a eu le privilège d’être le coéquipier de Carnegie et O’Ree à Québec et il a ensuite affronté ce dernier dans la LNH. De son côté, Talbot a également joué avec Carnegie au sein des A’s en plus de se mesurer à O’Ree dans la LNH.
« Je vais te dire une affaire, c’était un bon patineur! Il avait gagné sa place parce que c’était un bon joueur. Ça me rappelle de bons souvenirs », a mentionné Talbot d’entrée de jeu.
« Mais, je dois avouer, qu’au départ, je trouvais ça un peu curieux. Dans le sens que c’était la première fois que j’avais un Noir devant moi. C’était nouveau pour nous. Mais c’est rapidement devenu un joueur comme les autres à mes yeux. Je suis bien content de les avoir connus », a ajouté l’homme de 88 ans.
Inébranlable sur la patinoire, Bonin a disputé 454 parties régulières dans la LNH et il est persuadé que Carnegie appartenait à ce niveau.
« Oui, je le crois. Plus que Willie O’Ree même! », a lancé Bonin en riant et en démontrant l’absurdité de la chose.
« Comment je pourrais dire ça, O’Ree était rapide, mais il n’allait pas trop dans les coins alors que Carnegie était un joueur plus complet », a jugé Bonin avec franchise.
La bonne nouvelle, c’est que Carnegie n’a pas eu à endurer à répétition des traitements irrespectueux de la part des partisans.
« On ne voyait pas vraiment de ségrégation, les spectateurs n’en faisaient pas de cas », a noté Bonin.
Malheureusement, le contexte était moins accueillant dans la LNH alors qu’O’Ree a dû surmonter de nombreux commentaires disgracieux. Talbot reconnaît que c’était difficile à voir.
« La plupart des clubs criaient des choses regrettables, il en mangeait des noms qu’on n’est pas supposé dire. Il s’est fait maganer pas mal dans la LNH, mais pas tant dans le senior », a-t-il avoué en soutenant que le Canadien ne franchissait pas cette ligne.
« Je peux dire que d’autres clubs n’avaient pas l’air d’aimer ça, ils criaient des choses. Mais la LNH, ce n’est pas la même chose que le senior et surtout à Boston... Après un certain temps, les gens sont devenus plus habitués.
Même si c’était éprouvant, le traitement ne se compare pas aux sévices perpétrés à l’endroit de Robinson au baseball selon Bonin, qui a eu la chance voir jouer Robinson au Stade Delorimier, et Talbot.
« Au début, c’était plus dur, mais c’était moins pire que le baseball », a convenu Talbot.
Un championnat des pointeurs volé par racisme
Originaire de la région de Toronto, Carnegie a effectué son premier arrêt au Québec, en Abitibi, à Perron. Ses succès sur la patinoire l’ont ensuite mené à Timmins, en Ontario, où il a ressenti un racisme souvent subtil. Golfeur émérite, il avait tenté de joindre un club de la région, mais son chèque lui avait été retourné par la poste.
Shawinigan a été sa prochaine destination pendant une saison. S’il convient que la foule locale était généreuse à son endroit, il se rappelle que c’était mitigé sur les patinoires adverses alors qu’il entendait souvent des ‘Maudit noir’ ou ‘Maudit n...’.
Ses quatre saisons suivantes, à Sherbrooke, ont été ses plus productives et il a été nommé le capitaine du club. Cependant, il s’est fait ravir un titre de champion des pointeurs par Tony Demers, du club de St-Hyacinthe, qui continuait d’accumuler des points même durant son rétablissement d’une blessure à l’hôpital...
Si l’histoire des Noirs au hockey en sol canadien demeure dans l’ombre, il est possible de fouiller dans les archives numériques des journaux pour trouver une petite partie des informations. On a pensé vous relater cinq courts extraits de nos recherches.
En 1950, dans l’édition du 11 décembre du quotidien Le Droit, Charlie Daout écrit : ‘Herbie Carnegie, virtuose noir de Québec, a brillé d’un vif éclat dans la défaite’.
En 1951, dans le Sherbrooke Daily Record du 25 janvier, on relate que Carnegie se classe premier dans un vote de la ville de Québec sur le joueur qui se distingue le plus. À Montréal, c’est Maurice Richard qui domine le scrutin.
Dans un article du quotidien Le Soleil, du 21 février 1951, on lit ‘Le n... Herb Carnegie de Québec’ alors qu’on énumère les joueurs sur la première équipe d’étoiles.
Le 15 janvier 1949, dans le journal Le front ouvrier, on évoque ceci : ‘Herbie Carnegie est sensationnel et brille depuis trois saisons à Sherbrooke. Il est très populaire partout où il passe.’
Le Mois de l’histoire des Noirs nous rappelle qu’on devrait en savoir plus à propos de leur influence sur le hockey au Canada. On pense notamment à la Colored Hockey League qui a existé de 1895 à 1925 dans les Maritimes. Auparavant, des historiens ont même douté de l'existence de ce circuit tellement ce sujet a été écarté dans les récits.
Herb Carnegie ne mérite surtout pas de sombrer dans l’oubli. Après sa carrière de hockeyeur, il a eu la brillante idée de lancer une école de hockey et ensuite une fondation (Future Aces) pour promouvoir de belles valeurs. En 2001, un aréna de la région de Toronto a été renommé le Herbert H. Carnegie Arena en son honneur. La ville de Québec pourrait sans doute trouver une manière lui rendre hommage à son tour.
Mais la vraie reconnaissance repose entre les mains de la LNH qui devrait lui ouvrir les portes du Temple de la renommée en tant que bâtisseur. Après tout, le Baseball majeur a reconnu ses torts, il y a quelques décennies, en intronisant des joueurs noirs, comme Josh Gibson et Satchel Paige, auxquels les propriétaires n’ont jamais accordé le privilège d’exposer leur talent dans ce circuit.
*Un merci spécial à l’artiste et historien Webster ainsi qu’au collègue Meeker Guerrier pour l’inspiration du sujet.