Des conditions peu évidentes, mais des bénéfices
LNH mardi, 17 nov. 2020. 08:45 mardi, 17 nov. 2020. 13:23MONTRÉAL - On a amplement décrit le contexte de la bulle dans laquelle les joueurs de la LNH ont été plongés pour sacrer une équipe championne de la coupe Stanley. Mais on a peu parlé de la réalité des arbitres et François St-Laurent assure qu’il en retient surtout du positif même s’il a logé, pendant plus de 20 jours, dans une chambre d’hôtel sans fenêtre vers l’extérieur.
On a sursauté au bout de la ligne quand St-Laurent y est allé de cette confidence pour laquelle il a fallu insister. Parce que l’arbitre québécois ne veut pas se lamenter, il comprenait que le contexte particulier exigeait des sacrifices de part et d’autre.
« Je n’ai pas de commentaires négatifs à formuler. J’étais juste content de pouvoir finir ce qu’on avait commencé, d’être sur la glace et d’oublier un peu ce qui se passait », a d’abord lancé St-Laurent qui aura passé plus de 50 jours dans la bulle d’Edmonton.
Avant la relance des activités, les arbitres et les juges de ligne ont été confinés dans leur chambre respective pendant quatre jours. Impossible d’en sortir même pour manger. Les repas arrivaient via le service aux chambres. Ça se comprend comme condition, mais ce n’était pas tout.
« La fenêtre donnait sur l’intérieur d’un centre d’achat. Je n’ai pas vu le soleil pendant plus de 20 jours en me levant le matin. C’était la chose la plus difficile là-bas », a raconté l’arbitre de 43 ans.
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Malgré tout, St-Laurent tenait à être sélectionné (10 arbitres et 10 juges de ligne par bulle) pour cet événement particulier. Sans trop le soupçonner a priori, il a découvert que ce fonctionnement a provoqué du positif.
« J’aurais été déçu de ne pas être choisi. Au lieu de se promener en équipe d’arbitres, on était 20 gars à la même place. On avait une grande salle commune avec une table de ping-pong, des sofas et des téléviseurs. C’était tellement le fun de pouvoir retourner à l’hôtel et parler avec nos collègues. À notre niveau, on doit accepter qu’on fait des erreurs et on pouvait échanger sur la gestion de ces jeux. Bref, je pense que tout le monde a grandi de ça. Pour une fois, on était comme une grande équipe, on était tous là pour se supporter et s’aider », a confié St-Laurent avec pertinence.
Il ne s’agissait pas du seul facteur bénéfique de cette bulle. La distance entre les arbitres et les joueurs a été réduite au sens figuré.
« On voyait tout le monde, c’était une autre dynamique. Je pense que la bulle a aidé. Les joueurs ont vu qu’on était des humains et qu’on pouvait rigoler en dehors de la glace. On a pu les voir dans un autre environnement et pas juste avec leur complet à 10 000$ ou leur attitude sur la glace. On les a vus en tant que personne avec leur côté plus humain. J’ai parlé avec des joueurs, et des entraîneurs, on l’a tous fait. Dans d’autres circonstances, on n’aurait jamais eu cette occasion. Oui, il y a de petits trucs, mais si je regarde l’ensemble, je n’ai rien à reprocher et je le referais demain matin », a jugé St-Laurent.
Quand il parle de « trucs », St-Laurent pense notamment à sa famille. Il a été séparé de celle-ci pendant une longue période et il est loin de toucher un salaire comparable aux joueurs de la LNH pour compenser.
« Non, je ne suis pas millionnaire, mais on gagne très bien notre vie et on a tellement de plaisir. Quand on se compare, on se console beaucoup. Je vais arrêter au début de la cinquantaine avec de meilleurs moyens financiers que j’aurais pu imaginer. D’un autre côté, mon plus vieux a 14 ans et, en 18 ans avec la LNH, j’ai passé 3800 nuits d’hôtel juste dans les Marriott. Je dis souvent que j’ai manqué la moitié de leur vie. De plus, nos conjointes ne peuvent pas être des femmes de carrière jusqu’à un certain point vu qu’on est toujours partis », a mentionné St-Laurent.
Il a accepté de déménager en Caroline du Nord
Une précision s’impose à propos de sa famille. En 2010, St-Laurent a accepté une proposition de déménagement soumise par la LNH qui souhaite miser sur des arbitres basés dans différents marchés du circuit Bettman. Ça permet d’éviter des ennuis quand les déplacements sont en péril comme durant la période hivernale et particulièrement pour les parties disputées tout de suite après le congé de Noël.
Quand il s’est joint à la LNH en 2003, la région montréalaise était déjà couverte par Stéphane Auger, Marc Joannette, Éric Furlatt et Dave Jackson.
« La LNH demande si tu es intéressé. Ça ressemble à ‘On aimerait te voir dans tel coin, on a besoin du monde dans ces régions. Laquelle préfères-tu? Tu es jeune et tu peux arbitrer plusieurs années’ », a décrit St-Laurent.
Le choix de sa famille s’est arrêtée sur Raleigh pour le côté sécuritaire de l’endroit. Finalement, l’arbitre Frédérick L’Écuyer a choisi, un an plus tard, la même destination si bien que les deux familles peuvent s’entraider car les grands-parents n’habitent pas à proximité.
Tandis qu’il se promène habituellement aux quatre coins de l’Amérique du Nord – et parfois à l’international – St-Laurent se retrouve au domicile familial pour une longue période. Voilà une belle manière de rattraper du temps perdu sauf que...
« J’apprécie ce temps de qualité avec eux, j’apprends à plus les connaître et c’est la même chose pour eux. Pas qu’on ne se connaissait pas, mais les règlements de papa ne sont pas pareils de ceux de maman. C’est un côté positif de l’histoire. Ceci dit, les enfants comprennent que c’est notre rythme de vie et ça m’affecte dans un sens parce que j’ai besoin de ce métier. De ne pas savoir, ça gruge un peu tout le monde », a avoué celui qui poursuit son entraînement.
Par rapport à l’incertitude, St-Laurent se réjouit que la LNH ait décidé de payer les arbitres présentement. Ça se justifie facilement puisque les officiels ont arbitré plus de matchs en séries et ils ont quitté la maison plus longtemps sans obtenir de compensation.
Voilà une décision positive car l’approche n’a pas toujours été la même. Les arbitres n’avaient pas été payés durant les deux derniers conflits de travail entre les dirigeants et les joueurs. Ils ont donc perdu environ un an et demi de salaire.
« La LNH nous a supportés avec un montant et on avait aussi la possibilité d’emprunter pour ceux qui ont une situation plus précaire ou qui ne voulaient pas baisser leur rythme de vie. De mon côté, je ne veux surtout pas me plaindre quand je pense aux autres dont mon frère qui a un restaurant », a précisé St-Laurent sans savoir s’il sera payé jusqu’au lancement de la saison en janvier ou en février.
Étant donné que la LNH manque de relève dans ce rôle, il aurait sans doute été malveillant de couper le salaire des arbitres. Il y a eu une vague de départs à la retraite dans les dernières années en lien avec ceux qui ont été embauchés pour les expansions au début des années 1990. La prochaine vague concerne ceux qui ont fait le saut lors de l’instauration du système à deux arbitres.
Les émotions de Vegas Strong, la fierté du 1er match
Pendant quelques années, St-Laurent a justement contribué à former une relève. Il organisait des séminaires pour mieux former les aspirants.
« Un paquet de monde m’a aidé à accéder à ce niveau. Je pense aux arbitres plus expérimentés avec lesquels je travaillais ou aux superviseurs qui venaient me regarder pour 15$ dans un aréna frette quand j’arbitrais bantam », a noté St-Laurent qui aime partager son vécu avec les plus jeunes.
« Ron Fournier a redonné avec des projets semblables, il aidait à nous faire connaître, les Québécois, auprès de la LNH », a insisté St-Laurent qui est entouré de quelques compatriotes dans la LNH.
Avec plus de 800 matchs dans la LNH, St-Laurent a été témoin de grandes moments. Il a participé à deux matchs extérieurs, il a arbitré au niveau international, il a goûté à l’ivresse des séries et il était également en fonction pour le premier match à Las Vegas qui a été le théâtre d’un hommage aux 58 victimes d’une horrible fusillade.
« Oh c’était touchant! L’équipe a fait un travail colossal. On était sur la patinoire pendant la cérémonie et on ne pouvait pas voir que durant les projections sur la glace, on voyait les noms de toutes les victimes. Les premiers répondants, les infirmières, les pompiers, les ambulanciers, on était tous ensemble. Je n’oublierai pas ça, j’en avais des frissons. On se demandait tous comment on allait gérer ce match. Au moins, Vegas a pris une grosse avance. Ce n’était pas une soirée dans laquelle on avait besoin d’une controverse », a-t-il admis.
Mais rien ne battra les sensations de son tout premier match, en 2005, entre Ottawa et Boston.
« Ce n’était pas ma meilleure performance, j’ai fait une job terrible, mais j’étais là! Je ne sais pas si tous les arbitres le font, mais quand je suis arrivé à l’hôtel, j’ai barré la porte de la chambre, j’ai sorti le chandail, je l’ai enfilé et je suis allé directement devant le miroir. Je me sentais niaiseux de le faire, mais il fallait que je le fasse », a-t-il conclu en souriant.