Les magnifiques détours de Daniel Jacob
Rocket de Laval mardi, 20 nov. 2018. 07:20 mercredi, 11 déc. 2024. 08:55LAVAL – C’est une tactique de motivation que Joël Bouchard sort fréquemment de sa poche arrière. Quand l’entraîneur-chef du Rocket de Laval veut faire comprendre à l’un de ses joueurs qu’un pas de recul peut être la meilleure façon d’en faire deux vers l’avant, il cite l’exemple de son adjoint Alex Burrows, un éternel négligé qui a dû passer par le Junior AAA et la ECHL avant de jouer près de 1000 matchs dans la Ligue nationale.
Pour un jeune homme qui aspire à une longue carrière professionnelle, la comparaison est concrète et frappante. La situation ainsi expliquée, on s’imagine qu’il n’y a plus grand-chose à ajouter.
Mais avec une petite heure devant lui, Bouchard pourrait aussi inviter son poulain à luncher et lui raconter l’histoire de son autre adjoint. Daniel Jacob n’a peut-être jamais joué avec les Sedin, mais son ascension jusqu’aux portes de la LNH n’en est pas moins inspirante.
La semaine dernière, entre deux matchs du Rocket à la Place Bell, RDS a rencontré ce passionné de coaching, un homme qui a été guidé par son ouverture d’esprit vers de magnifiques détours et qui est aujourd’hui revenu, à force de travail et de dévouement, au seuil des grandes ligues.
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Pour reprendre une autre formulation qui lui est chère, Bouchard dirait sans doute de son bras droit qu’il n’a pas gagné sa place à ses côtés dans un concours. C’est vrai. Mais le principal intéressé reconnaît lui-même que son inscription à une insolite audition, il y a bientôt 15 ans, a joué un rôle important dans le démarrage de sa carrière professionnelle.
En 2004, la série télévisée « Making the Cut » est née du désir d’alimenter l’intérêt des amateurs de hockey durant le lock-out de la LNH. Des essais ont été organisés dans les principales villes canadiennes dans le but de trouver les meilleurs « joueurs autonomes » au pays. Au terme d’un éprouvant camp de sélection, six élus allaient recevoir une invitation au camp d’entraînement de l’une des équipes canadiennes du circuit Bettman.
Daniel Jacob a 24 ans à l’époque. L’intimidant défenseur vient de terminer sa quatrième saison chez les Redmen de McGill. Devant les caméras de la CBC, il résiste aux coupes jusqu’à l’élection de douze finalistes, mais ne parvient pas à s’immiscer parmi les gagnants. Il attire toutefois l’attention de Mike Keenan, l’un des entraîneurs invités à collaborer au concept, et quitte avec une invitation au camp des Panthers de la Floride.
« Il n’y avait tellement pas de visibilité à l’époque au niveau universitaire, évoque Jacob. Il y avait Mathieu Darche qui était sorti de peine et de misère. Moi j’avais commencé sur le tard, je n’étais pas un nom connu. Ça a donc été une belle plateforme pour la suite. »
Jacob était effectivement une sorte d’anomalie parmi ses congénères. Un natif de la Rive-Sud de Montréal déraciné à Québec à l’adolescence, il a renoué avec le hockey mineur après une pause de quelques années et est passé du bantam A au midget BB, puis a abouti dans le circuit collégial québécois. « C’est vraiment à l’âge de 16 ans que ça a débloqué », évalue-t-il.
À 20 ans, le défenseur de 6 pieds 6 pouces est accepté en criminologie à l’Université d’Ottawa. Il ne tient plus en place, mais l’entraîneur du programme de hockey le ramène sur terre en lui conseillant d’aller passer une saison de maturation dans le junior A. Pendant ce temps, à Montréal, Martin Raymond lui fait la cour. Jacob se laisse convaincre par les arguments de celui qu’il identifie aujourd’hui comme l’un de ses principaux mentors.
Dans la vie comme sur la glace, Jacob a beaucoup à apprendre quand il arrive à McGill. Ironiquement, c’est la barrière de la langue qui s’avère l’obstacle le plus difficile à franchir.
« C’était zéro pis une barre, dit-il pour résumer ses connaissances de l’anglais. Ça a été le gros challenge. Pendant un an et demi, ça n’a pas été facile. Tu t’assis en arrière de la classe et tu te demandes ce que tu fais ici. Assez pour appeler à la maison pour dire que je n’étais plus capable. Et mon père de répondre qu’il ne viendrait certainement pas me chercher, alors aussi bien commencer à marcher tout de suite! »
Jacob ne va finalement nulle part. Il résiste même à la tentation du hockey professionnel quand les Panthers lui offrent la chance de gagner sa place au sein de leur club-école pour passer une cinquième année sur le campus. Ce n’est qu’une fois son admissibilité écoulée qu’il joue un match avec le Rampage de San Antonio.
« Ensuite, ils ont laissé la place aux gars de l’organisation. C’est plate, parce que ça avait bien été. Je suis loin d’avoir des regrets, mais d’un point de vue coaching, j’ai vécu des choses que je ne veux pas refaire. C’est pour ça qu’aujourd’hui, on jase aux boys, on leur explique nos décisions. Je n’ai pas été maltraité, mais disons que je n’ai pas eu ma chance. »
Échaudé par sa relation avec l’organisation des Panthers, Jacob tourne le dos au hockey nord-américain et s’envole pour l’Europe. Il passe par l’Autriche et la Suède, mais son plus improbable détour l’amène à Novi Sad, en Serbie. D’abord attiré par la possibilité de vivre un dernier « trip de boys » avec ses amis Marc-André Fournier et Fred Perowne, il y passe finalement quatre ans.
C’est le coaching qui le ramènera au pays.
La piqûre
Daniel Jacob avait attrapé la piqûre de l’enseignement bien avant de prendre en charge le programme de hockey mineur de Novi Sad.
« J’ai tout le temps fait des écoles de hockey. À 14 ans, j’allais aider dans les écoles, j’allais lancer des rondelles. Je me suis impliqué dans l’école des Redmen. L’été, j’ai coaché des équipes de roller aux États-Unis. J’ai toujours aimé ça. Mais je n’aurais jamais pu dire que j’allais être un coach dans la vie. Ça serait mentir. »
En 2010, Kelly Nobes est nommé à la barre du programme de hockey de McGill. Jacob l’avait connu dans un rôle d’adjoint dix ans plus tôt, mais ses carences en anglais avaient limité leurs interactions. Il décide de lui envoyer un courriel de félicitations. Il reçoit en retour une invitation à dîner.
« Autour d’un sushi, il m’a dit qu’il se cherchait un adjoint et qu’il voulait une réponse de ma part le plus tôt possible. Moi je retournais en Serbie! Mais des occasions comme ça, ça ne passe pas à tous les jours. »
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Derrière le banc, Jacob développe un regard nouveau pour son sport.
« Je me rappelle encore de mon premier match. Kelly vient me voir et me dit : " Hey, as-tu vu le truc qu’ils ont fait à la mise en jeu? " Je lui ai répondu : " Non, mais je peux te dire exactement où sont partis mes défenseurs! " C’est là que ça m’a frappé. Un coach doit s’assurer de ramasser tous les petits détails de la game. »
Le retour à l’alma mater dure quatre ans. En 2014, au retour de sa participation à une école de hockey dans le Grand Nord québécois, Jacob reçoit un appel de Joël Bouchard. Ce dernier s’apprête à remplacer Jean-François Houle à la barre de l’Armada de Blainville-Boisbriand et se cherche un collaborateur.
Jacob accepte le rendez-vous. Le jour de l’entrevue, il enseigne en matinée au stage Haute Performance dispensé par Hockey Québec. Il quitte pour rencontrer Bouchard sur l’heure du midi et revient vêtu d’un polo de l’Armada.
« Ça a cliqué, se souvient-il. Je me retrouvais à m’occuper des attaquants, ce qui était un défi différent. Mon but, c’était d’un jour pouvoir répondre " oui " à la question " veux-tu faire ça? " parce que je saurais que je suis capable de tout faire. Il fallait que j’aie plusieurs cordes à mon arc et c’est exactement ce que ça m’a donné. »
Complices complémentaires
À Boisbriand, Jacob se fond dans une organisation qui lui ressemble. Sur la glace, l’Armada forme rarement l’équipe la plus talentueuse, mais le sens du dévouement et du sacrifice qu’on y cultive lui permet de s’élever au-dessus de la mêlée. Pendant les quatre années où Bouchard et Jacob sont à sa gouverne, le navire ramène un minimum de 40 victoires au port à trois reprises et atteint la finale des séries de la LHJMQ deux fois.
« Ce sont tous des gars qui sont appelés à bûcher et en tant qu’entraîneur, si tu le demandes à tes joueurs, c’est ce que tu dois faire toi aussi. Et c’est ce que je ressentais [avec Joël]. C’est un gars passionné, un gars fair. »
En parallèle à ses avancées dans la LHJMQ, Jacob commence à toucher au hockey international. Il décroche un poste d’adjoint sur l’équipe canadienne au Défi mondial des moins de 17 ans, puis au Tournoi Ivan Hlinka avec les U18. Ce n’est pas par charité que Joël Bouchard lui a demandé de le suivre à Laval quand le Canadien de Montréal est arrivé dans le portrait.
À première vue, le caractère des deux hommes ne pourrait être plus aux antipodes. L’un est un hyperactif caractériel, l’autre un gentil géant. Pendant un entraînement du Rocket, l’entraîneur-chef tourbillonne autour de ses attaquants comme la version animée du Diable de Tasmanie pendant qu’à l’autre extrémité, Jacob supervise avec une force tranquille le travail de ses défenseurs. Mais il suffit d’écouter attentivement pour comprendre que les deux complices ont plus en commun qu’il n’en paraît.
« C’est sûr qu’on se rejoint sur la façon de penser et oui, il a déteint sur moi. Tu sais, je passe quasiment plus de temps avec lui qu’avec ma famille. Mais être demandant, ça se fait de plein de façons. Et devenir un mini-Joël, ce n’est pas mon but. Je ne me mettrai pas à crier tout le temps, ce n’est pas ce que je fais. »
« J’essaie de garder tout ce que j’ai eu comme bagage. Martin Raymond était un gars à l’écoute, très humain. Kelly était un très bon tacticien et excellait pour apporter des ajustements en cours de match. Puis j’arrive avec Joël qui est très vocal, motivateur. Moi, je reste moi-même. Je n’ai peut-être pas les baguettes en l’air, mais je vais te dire une affaire, quand mes boys manquent, je n’ai pas peur d’élever le ton. Et ils le savent. »
Il n’échappe pas à Daniel Jacob que sa décennie de tribulations et de célébrations dans le rôle d’entraîneur l’ont rapproché comme jamais de la ligue dans laquelle il rêvait jadis de jouer. Et au nombre de fois où on a entendu Joël Bouchard dire de ses joueurs qu’ils étaient « soit menteurs, soit niaiseux » s’ils disaient que leur objectif était de rester dans la Ligue américaine, on verrait mal son adjoint se draper de la même prétention.
« Leur job, c’est de se voir dans la LNH, mais le processus qui va les amener là est très important aussi, répond Jacob. C’est la même chose pour le coach. C’est sûr et certain qu’on veut se ramasser dans la LNH. Mais le processus avant est primordial. Tu ne peux pas commencer à manquer une journée de travail, à sauter des étapes, à couper les coins ronds. Il faut rester prêt au quotidien, rester proactif dans ce qu’on fait et il y a des bonnes choses qui vont arriver. Mais je ne suis pas rendu là. Je suis dans la Ligue américaine et je vais te dire une affaire, j’ai du fun en tabarouette. »