Lorsqu’il a organisé son premier gala de boxe professionnelle au Théâtre Corona le 11 novembre 2010, Camille Estephan était loin de s’imaginer qu’il serait le promoteur le plus actif au pays 10 ans plus tard. Ce n’est pas tant qu’il doutait de lui, mais le portrait n’était pas précisément le même.

À l’époque, Groupe Yvon Michel et InterBox régnaient sans partage sur la boxe québécoise. Jean Pascal était champion des poids mi-lourds du WBC et s’apprêtait à affronter le légendaire Bernard Hopkins, tandis que Lucian Bute venait d’effectuer la neuvième défense de son titre des super-moyens de l’IBF. Au final, il ne restait que des miettes – et encore – pour tous les autres.

Grâce à leur tête d’affiche respective, Groupe Yvon Michel et InterBox possédaient les moyens de leurs ambitions. HBO et Showtime débarquaient ponctuellement à Montréal et Québec, si bien que les deux organisations avaient la main mise sur les boxeurs les plus en vue et la relève.

Il faut toutefois savoir qu’Estephan n’ambitionnait même pas organiser ses propres galas quand il a fait ses premiers pas dans le monde de la boxe. Non, l’homme d’affaires voulait simplement donner la possibilité aux athlètes qu’il représentait, dont Bermane Stiverne, de gagner leur vie.

« J’ai très rapidement compris que si un boxeur n’a pas d’option, l’entente qu’il va ensuite signer sera mauvaise, a expliqué Estephan au cours d’un long entretien avec RDS.ca la semaine passée. C’était le cas pour Bermane, ce l’était pour Dierry Jean et les autres boxeurs qui se sont ajoutés au groupe. Nous étions en quelque sorte pris dans un coin et nous n’avions pas le choix d’agir. »

C’est dans ce contexte qu’Eye of the Tiger Management présente son premier événement dans la mythique salle de la rue Notre-Dame Ouest. Stiverne en est la tête d’affiche, alors que Jean, Ahmad Cheiko, Sylvera Louis et Ghislain Maduma se battent en sous-carte devant 650 amateurs.

« Ce gala m’a immédiatement aidé dans mes négociations. Il aura obligé Don King [le promoteur de Stiverne, NDLR] à commencer à respecter ses engagements, rappelle Estephan. À son combat suivant, Bermane se battait sur HBO et il y avait trois ceintures mineures qui étaient à l’enjeu. »

Cette première expérience ne sera répétée que sept mois plus tard et le nouveau promoteur mettra quelques années avant d’organiser son premier événement d’envergure au Centre Bell. Estephan savait pertinemment qu’il devait faire ses classes ainsi qu’acquérir des connaissances.

« Il faut comprendre que l’univers de la promotion était un secret bien gardé et que c’était ardu d’avoir de l’information. Il n’y avait pas de cours qui se donnait quelque part, détaille-t-il. J’avais donc été voir un avocat à New York et il m’avait tout appris de la business de la boxe : les contrats, les événements à la télévision à la carte, la télévision internationale, les ententes avec les édifices, les commandites, etc. C’était très dispendieux, mais... ç’a vraiment valu la peine! »

Malgré tout, Estephan est toujours demeuré extrêmement lucide : « Je n’ai jamais douté, mais si tu n’as pas les bons boxeurs ou qu’ils ne livrent pas la marchandise, ça ne fonctionnera jamais. »

Un moment charnière

Au printemps 2017, Estephan a résolument le vent dans les voiles. Il est propriétaire d’InterBox depuis l’été précédent et a présenté ses deux derniers galas au Centre Bell. Mais il sait plus que quiconque que l’industrie québécoise est en perte de vitesse et que les grandes années de Pascal et Bute sont révolues. Il faut absolument développer une idée pour espérer prospérer de nouveau.

C’est ainsi qu’Estephan présente le premier événement de la série « l’Antre du tigre » le 6 avril 2017 au Métropolis. Le concept est plutôt simple : organiser un gala devant un nombre limité d’amateurs et le retransmettre sur la plate-forme de diffusion en continu Punching Grace qui a été créée spécialement pour l’occasion. Le promoteur parle du moment charnière de l’histoire.

« Je savais qu’Eye of the Tiger avait encore beaucoup de chemin à faire avant d’être considéré comme un joueur mondial, mais je savais que je détenais maintenant l’arme secrète pour négocier avec les Golden Boy Promotions, Top Rank et Matchroom Boxing de ce monde, affirme Estephan. Sans cette plate-forme, il nous serait présentement impossible de tenir des galas. »

Continuellement à l’affût de nouvelles idées, Estephan espérait depuis longtemps faire vivre les émotions qu’il vivait lui-même dans le vestiaire de ses athlètes avant un combat. « Chaque fois que j’étais assis dans la chambre, je me disais que ça serait vraiment plaisant de voir ça », dit-il.

Mais Estephan essuie refus par-dessus refus. Ces intrusions pourraient nuire à la préparation de ses boxeurs. La pandémie vient cependant changer la donner. À court d’options, les pugilistes n’ont plus vraiment le choix d’accepter la présence des caméras s’ils veulent pouvoir combattre.

« Je comprends l’idée d’avoir de belles productions télévisuelles léchées avec des éclairages et des décors flamboyants, mais le spectacle, c’est le boxeur, mentionne Estephan. Et ce que les vrais amateurs veulent voir, ce sont les émotions. Ils veulent les voir, mais également les vivre. »

Si certains ont vu leur monde s’écrouler avec la pandémie de coronavirus, Estephan y a plutôt vu une occasion inespérée de tester les mille et une idées qu’il a en tête. À ses yeux, il est condamné à penser « hors de la boîte » afin de toujours avoir les meilleures cartes dans son jeu.