MONTRÉAL - Confinés par la COVID-19 qui pourrait empêcher les équipes qu’ils ont bâties de batailler pour mettre la main sur coupe Stanley, le directeur général du Lightning de Tampa Bay Julien BriseBois et ses homologues Kyle Dubas (Toronto), Bill Guerin (Minnesota) et John Chayka (Arizona) composent comme ils le peuvent avec cette période d’attente bien involontaire.

 

Difficile de sauter d’une hypothèse à une autre en dressant des scénarios reliés à un possible retour sur la patinoire?

 

« Il faut surtout demeurer le plus serein possible alors qu’il est difficile de le faire. Il ne faut surtout pas se laisser emporter par le tourbillon d’incertitudes dans lequel on se trouve. C’est difficile pour tout le monde de composer avec l’incertitude. Toute la société est touchée. Mais dans le monde du hockey, on doit quand même réaliser que nous faisons partie du groupe de gens les plus favorisés. Il y a des gens beaucoup plus touchés que nous le sommes. C’est pour cette raison qu’il est très plaisant de voir autant de joueurs de toutes les organisations s’impliquer, d’une façon ou d’une autre, pour réduire les conséquences de la pandémie», a indiqué Julien BriseBois lors d’une vidéoconférence organisée par la LNH.

 

« Nos joueurs reviendront sur la patinoire lorsqu’il sera sécuritaire de le faire. D’ici là, utilisons tous cette période de confinement pour faire le point sur nous, sur ce qui nous entoure, pour passer plus de temps en famille », a poursuivi Bill Guerin.

 

Les questions étant proposées par la LNH, les sujets délicats n’ont pas été abordés. Il n’a donc pas été question des nombreux scénarios reliés au retour du hockey de la LNH, dont la possibilité que plusieurs équipes convergent vers une même ville pour y disputer leurs parties. Du repêchage qui pourrait se tenir dès juin avant la fin de la saison et avec une loterie remodelée qui pourrait réduire les chances des équipes les plus faibles de mettre la main sur le premier choix et donc sur Alexis Lafrenière.

 

Julien BriseBois a toutefois convenu qu’il s’accrochait aux chances de voir le fruit de son travail sur la patinoire dans un avenir rapproché. Il faut dire qu’après leur balayage en quatre petites parties en première ronde le printemps dernier, le Lightning a bien des choses à prouver cette année.

 

« Nous avons eu la chance de pouvoir ajouter des éléments au fil des dernières saisons », a répondu BriseBois à une question reliée sur les difficultés rencontrées lors de récentes transactions.

 

« Le plus est difficile est de se faire répondre chaque fois qu’on offre notre premier choix que cette sélection a la même valeur qu’un choix de deuxième ronde. Mais cela représente un heureux problème puisque ça démontre les succès obtenus en saison. J’ai bien hâte de voir ce que l’équipe que nous avons bâtie au fil des dernières années et que nous avons améliorée en effectuant des transactions sera en mesure d’obtenir comme résultats une fois de retour sur la patinoire. Et j’espère que ce sera le plus vite possible », a mentionné le directeur général du Lightning.

 

Un joueur, deux mathématiciens, un avocat

 

Si tous les chemins mènent à Rome comme le veut le proverbe, il est clair que plusieurs chemins mènent aux bureaux des 31 directeurs généraux de la LNH.

 

BriseBois, Chayka, Dubas et Guerin ont tous joué au hockey au cours de leur jeunesse. John Chayka a même disputé quelques matchs dans les rangs juniors.

 

Mais du groupe, seul Bill Guerin a connu une – très – belle carrière dans la LNH. En dépit cette expérience, Guerin reconnaît qu’il est celui qui était le moins promis à un poste de directeur général. Il est d’ailleurs le dernier des quatre à avoir obtenu ce titre.

 

« J’étais un joueur assez têtu. J’ai utilisé des moyens de pression pour signer deux de mes contrats. J’ai été très impliqué au sein de l’association des joueurs (NHLPA) : autant lors de la grève de 1992 que lors du lock-out de 1994-1995 et de celui qui a annulé la saison 2004-2005. Comme joueur, tu n’as pas la moindre idée du fonctionnent de l’équipe au niveau gestion. »

 

Julien BriseBois se dirigeait vers le droit fiscal lorsqu’il a bifurqué vers le hockey en s’occupant de dossier contractuel porté en arbitrage. Lorsqu’il a compris que sa carrière de joueur s’arrêterait dans les rangs juniors, John Chayka s’est tourné vers les mathématiques. En fait, vers les statistiques avancées qui lui ont ouvert les portes de la LNH.

 

Quant à Kyle Dubas, lui aussi un «geek» des chiffres, c’est par le biais de la direction générale des Greyhounds de Sault-Ste-Marie dans la Ligue de l’Ontario qu’il s’est rendu à la LNH.

 

« J’avais été agent pendant cinq ans. C’est durant cette période que j’ai connue Julien – Julien BriseBois, alors d.-g. des Bulldogs de Hamilton, tentait de mettre sous contrat un de ses clients, Marc-André Bernier, le frère du gardien Jonathan Bernier – par le biais de négociations difficiles. Je n’aimais pas ce travail. Puis un jour, le poste de directeur général des Greyhounds s’est ouvert. J’avais travaillé comme dépisteurs pour eux. C’est une grande organisation et quand j’ai obtenu ce job, je réalisais un rêve. Je croyais être là pour toujours », a convenu Dubas qui a ensuite été invité à ses joindre aux Leafs en raison de ses aptitudes avec les statistiques avancées.

 

Religion ou outil complémentaire?

 

Bien qu’il soit l’aîné du groupe, Bill Guerin est le plus «jeune» directeur général de la LNH. Contrairement à ses jeunes homologues, il est loin d’être un gars de chiffres.

 

« C’est devenu un aspect important du travail, mais je vois les statistiques avancées comme un outil complémentaire au travail effectué par les dépisteurs. Elles peuvent aider, mais on a besoin des deux », a lancé Guerin.

 

Issus d’une ère et d’une culture différentes, les trois jeunes DG sont loin de vouloir avancer les yeux fermés dans l’analyse de leurs joueurs et de ceux qu’ils courtisent.

 

« Il y a des éléments qui peuvent échapper à l’œil, mais qui seront mis en évidence par des statistiques spécifiques. Remarquez que le contraire est aussi vrai, a ajouté Julien BriseBois qui aime se faire éveiller par les statistiques avancées. Parfois, les chiffres soulèvent simplement des questions. Tu as une idée en tête que les statistiques avancées remettent en question. Ça t’oblige à approfondir tes analyses. »

 

Plus versé dans les statistiques avancées que tous les autres directeurs généraux de la Ligue, John Chayka attend avec impatience les données que les puces installées sur les joueurs permettront d’obtenir.

 

« Il y a une multitude de facteurs qui entrent en ligne de compte quand vient le temps d’analyser les statistiques avancées. La vitesse d’un jeu, la pression de l’adversaire. Il faut donc savoir bien comprendre les chiffres. Cela dit, j’ai bien hâte de voir tout ce qu’on apprendra avec le système que la Ligue mettra de l’avant quant aux mouvements de la rondelle et des actions des joueurs. Ce sera intéressant pour les dirigeants, mais aussi pour les amateurs. J’ai hâte de voir ce que nous apprendrons de nouveau », a souligné le manitou des Coyotes.

 

Congédiements difficiles

 

Le travail de directeur général amène son lot de défis. De moments exaltants. De passages difficiles. Et s’il est difficile de composer avec les défaites qui s’accumulent, avec les blessures qui minent une équipe ou des contraintes financières, rien n’est plus difficile que de procéder au congédiement d’un coach.

 

Bill Guerin l’a vécu lors de sa première saison à la barre du Wild alors qu’il a dû se résigner à congédier Bruce Boudreau. Kyle Dubas s’est retrouvé au centre d’une tempête médiatique à Toronto alors qu’il a «osé» limoger le grand Mike Babcock. John Chayka a congédié Dave Tippett qui avait pourtant tenu les Coyotes à bout de bras pendant de nombreuses années.

 

Du groupe, seul Julien BriseBois n’a pas eu à procéder à un changement. Jon Cooper est venu remplacer Guy Boucher sous la direction de Steve Yzerman, et BriseBois, qui avait nommé Cooper à la barre du club-école, affiche toujours une confiance inébranlable en son coach.

 

« Tu ne te réveilles pas un matin en te disant : OK! Je mets mon coach à la porte. C’est une décision avec laquelle tu jongles longtemps. Une décision qui te hante parce que tu sais très bien que tu joues avec la carrière du gars que tu vas congédier. C’est très difficile », assure Guerin.

 

« C’est une décision que tu dois annoncer face à face. Et c’est ça ce le plus dur parce que tu passes tellement de temps avec ton coach à échanger sur les ennuis du club, sur les solutions à trouver et à mettre en place que tu développes beaucoup de complicité », insiste Kyle Dubas.

 

« C’est vraiment difficile à faire », ajoute simplement John Chayka.

 

Faire ses classes avant de faire des vagues

 

Bien qu’ils soient les plus jeunes dans le groupe des 31 directeurs généraux, BriseBois, Chayka, Dubas et Guerin doivent quand même prendre le téléphone pour négocier des transactions avec leurs homologues. Ils doivent prendre la parole. Ils doivent tenter de trouver le moyen de s’imposer.

 

« Lors de ma première réunion des directeurs généraux, je me suis retrouvé autour de la table parce qu’on – les Leafs – venait de congédier Dave Noonis et que Lou (Lamoriello) n’avait pas encore été embauché. J’étais terrifié. Il n’y a pas d’autre mot pour décrire mon état. J’écoutais. Je prenais des notes et je crois n’avoir parlé qu’à Ron Francis que je connaissais parce qu’il est de Sault-Ste-Marie », a admis Kyle Dubas.

 

Même s’il est fort en gueule, Bill Guerin assure ne pas être encore à l’aise autour de la table des « sages ». « J’étais maître dans l’art de narguer mes adversaires sur la glace et je suis toujours en mesure d’asséner un jab avec un commentaire bien placé. Mais je crois que je n’ai pas encore dit un mot autour de la table. J’en ai dit tout plein dans ma tête, mais aucun n’est encore sorti de ma bouche. Dans le hockey, tu réalises vite que c’est avec tes yeux et tes oreilles que tu apprends sur la glace et dans un vestiaire. Autour de la table des directeurs généraux, c’est la même chose. Une recrue demeure une recrue. C’est en écoutant que tu apprends. »

 

Et ces recrues craignent-elles de concocter des transactions?

 

« Tu apprends vite à connaître tes homologues. Les gars veulent jouer franc-jeu. Je me souviens d’une de mes premières transactions : Dale Tallon – Panthers de la Floride – m’avait beaucoup aidé en me faisant réalisé les pour et les contres pour les deux équipes », a témoigné Kyle Dubas.

 

« J’ai appris en travaillant avec Jim Rutherford à Pittsburgh. Il m’a toujours dit que si mon objectif était de passer un sapin à un rival, qu’il deviendrait un ennemi avec lequel il serait impossible de transiger ensuite. On doit chercher le bon coup pour les deux clubs. Tenez : avec Pittsburgh, on a essayé d’obtenir Jason Zucker l’an dernier. Cette année, c’est moi qui étais au Minnesota et quand j’ai contacté Jim à Pittsburgh au sujet de Zucker, j’ai pris les moyens pour qu’il soit content du «deal» et que je le sois aussi. Ça m’a permis de transiger deux fois en un an pour obtenir Alex Galchenyuk », a fait remarquer le DG du Wild.

 

Il n’a toutefois pas commenté le travail de l’ancien du Canadien…

 

D’ici à ce qu’il obtienne le feu vert pour rappeler leurs joueurs au travail, BriseBois, Chayka, Dubas et Guerin attendent comme tout le monde.

 

« La bonne chose, c’est qu’il n’y a pas de feu à atteindre comme c’est habituellement le cas en saison. Mais on nage dans l’incertitude nous aussi. Normalement, on sait ce qui nous attend en avril, mai et juin (séries éliminatoires et repêchage), en juillet (joueurs autonomes) et en août (séances d’arbitrage, signatures des derniers contrats). Là on sait que ce travail viendra, mais on ne sait juste pas quand il viendra », a conclu Julien BriseBois.