MONTRÉAL - En annonçant publiquement qu'ils prennent du recul pour soigner leur santé mentale, des athlètes de calibre international comme la gymnaste Simone Biles et la joueuse de tennis Naomi Osaka prouvent que tout le monde peut rencontrer de telles difficultés et qu'il est important de demander de l'aide avant que le fardeau ne devienne trop lourd à porter, croit une experte québécoise.

« Ils ne sont pas invincibles, a résumé la professeure Véronique Boudreault, une spécialiste de la psychologie du sport à la faculté des sciences de l'activité physique de l'Université de Sherbrooke. On a tendance à croire qu'ils le sont, qu'ils sont immunisés de vivre des troubles de santé mentale parce que ce sont des gens très performants, qui s'expriment généralement bien, qui se présentent bien. »

La liste des athlètes qui ont eu besoin d'une pause pour prendre soin de leur santé mentale est impressionnante. En plus de Mmes Biles et Osaka, on pourrait mentionner le nageur américain Michael Phelps, qui a admis avoir envisagé de se suicider après les Jeux olympiques de 2012; la sprinteuse américaine Sha'Carri Richardson; le cycliste néerlandais Tom Dumoulin; et la basketteuse Liz Cambage.

Plus près de nous, l'ailier gauche du Canadien de Montréal, Jonathan Drouin, a quitté le club en avril pour des "raisons personnelles", vraisemblablement après avoir été affecté par la couverture médiatique et l'intensité des partisans. On dit maintenant qu'il va mieux et qu'il pourrait être de retour la saison prochaine.

Tout compte fait, dit Mme Boudreault, même les meilleurs athlètes du monde ne sont que des êtres humains, et ils sont confrontés aux mêmes facteurs de risque que les autres en ce qui concerne leur santé mentale.

Au-delà de cela, « ils font aussi face à des facteurs de risque additionnels liés au sport », a-t-elle souligné.

Pression et risques

La pression non seulement de performer, mais aussi d'exceller, pourra être écrasante, cite-t-elle en exemple. Certaines croyances bien ancrées associent excellence et souffrance - le slogan "no pain, no gain" se passe probablement de traduction - ce qui envoie à l'athlète le message « qu'il n'y a pas de place à se montrer vulnérables, qu'il n'y a pas de place non plus à parler des difficultés de santé mentale », a déploré Mme Boudreault.

Et c'est sans parler des blessures que peuvent subir les athlètes, voire des agressions sexuelles dont ils pourront être victimes dans les cas extrêmes, « étant donné un peu le climat qui va régner, où on va légitimiser ou normaliser des pratiques qu'on n'accepterait pas dans d'autres contextes », a-t-elle expliqué.

« Dans le milieu du sport, on dit qu'on veut encourager le processus et la maîtrise, mais dans les faits, ce qu'on valorise, ce que les médias valorisent, l'entourage, la société, ça reste que ce sont les médailles, les résultats et la performance, a dit Mme Boudreault. C'est ce que les 'fans' veulent voir, c'est ce qu'on trouve excitant (...) et qui nous impressionne. »

Les attentes des partisans sont claires: on s'attend à ce que Simone Biles rafle toutes les médailles d'or, on s'attend à ce que Jonathan Drouin remplisse le filet, on s'attend à ce que Naomi Osaka remporte match après match...

Quand cela se produit, la situation est tellement banale, tellement "attendue", qu'on passe rapidement à autre chose, habituellement en attendant de voir si la prochaine performance sera à la hauteur des attentes. C'est quand survient une contre-performance que les questions et les commentaires fusent de toute part.

« Ça peut être extrêmement confrontant pour les athlètes, a dit Mme Boudreault. Ils doivent développer une confiance en eux qui est solide, qui est stable, même si autour on essaie de les ébranler de différentes manières. »

Même les athlètes qui sont les plus forts mentalement, ceux qui sont capables de se concentrer sur leur performance plutôt que sur leurs résultats, ceux qui sont les plus à même de faire abstraction des bavardages, pourront finir par être affectés par tout ce qui se dit et tout ce qui s'écrit autour d'eux.

Dans un tel contexte, dit Mme Boudreault, il devient très difficile pour l'athlète d'être capable de s'évaluer sur la base de ses efforts, parce que l'accent est mis bien davantage sur les résultats.

La culture, poursuit-elle, oriente davantage les athlètes vers une tendance à vouloir contrôler leurs résultats, à vouloir être vraiment performants, ce qui pourra engendrer beaucoup d'anxiété parce que dans les faits, « on n'a pas le contrôle sur tous les facteurs qui mènent à une bonne performance sportive ».

« Même avec Simone Biles on entendait que la santé mentale, ça ne devrait pas être une excuse pour une mauvaise performance, a-t-elle rappelé. On entend encore beaucoup ce genre de discours-là. C'est énormément confrontant et ça ébranle beaucoup les athlètes, et c'est normal. »

Évolution des mentalités

Heureusement, les discours et les mentalités sont en pleine évolution, et même en pleine révolution.

Les athlètes font leur part en parlant ouvertement de ce qu'ils vivent, de ce qu'ils ressentent, et ils « peuvent être de bons modèles pour montrer que malgré les apparences, eux aussi vivent des moments difficiles et c'est normal, après tout », a dit Mme Boudreault.

« Il est important d'en parler, a-t-elle dit. Le fait que ces athlètes-là puissent prendre la parole, je me doute que ça doit leur demander énormément de courage, (...) j'espère que ça inspire les gens à voir que c'est normal de vivre des difficultés de santé mentale, ça touche tout le monde, et il faut en parler et il faut demander de l'aide, c'est le plus important, de ne pas attendre que ça devienne trop difficile et qu'on se rende à un point où l'on a des difficultés à fonctionner. »