C’est un secret bien gardé dans le monde des coureurs. Même entre eux, ils en parlent presqu’en chuchotant tellement on souhaite en dire le moins possible. La crainte, la peur et le doute s’insinuent dans les moindres recoins du cerveau des supers athlètes à la simple évocation de son nom. Plusieurs croient qu’il s’agit d’une légende ou d’un mythe car rares sont ceux qui sont parvenus à le vaincre ou à le terrasser. 

Le Barkley 100, ou Barkley Marathon, est considéré comme la compétition de course à pied la plus difficile de la planète. Depuis sa création, en 1986, seulement 14 coureurs sont parvenus à le compléter. Quatorze sur plus de mille inscrits! 

Pas étonnant lorsqu’on sait que l’organisateur de cet ultra-marathon, un dénommé Gary Cantrell, fait tout en son possible pour qu’aucun coureur ne le termine. Et même pour y participer, il faut être persévérant puisqu’il n’existe aucun site internet officiel, aucun formulaire d’inscription et même aucun parcours officiel! Les ultramarathoniens assez chanceux, ou malchanceux, pour y avoir participé gardent jalousement la localisation de l’endroit où se déroule la course car à peine 40 athlètes y ont accès annuellement et ils ne souhaitent pas perdre leur place. 

Une évasion inspirante

L’histoire du Barkley 100 est très particulière et débute le 10 juin 1977 avec l’évasion de prison de James Earl Ray, le meurtrier de Martin Luther King. Il vient alors de s’enfuir du pénitencier à sécurité maximal de Brushy Mountain, au Tennessee, et tente d’échapper aux limiers qui suivent sa trace en s’enfonçant dans la forêt dense pleine de ronces au terrain accidenté qui jouxte la prison. Il sera finalement retrouvé 54 heures plus tard, presque reconnaissant, après avoir parcouru une douzaine de kilomètres à peine! 

Le parcours du Barkley 100 est formé de cinq boucles de 32 km

Le parcours du Barkley 100 est formé de cinq boucles de 32 km
Lorsqu’il a vent de la nouvelle, Cantrell, un ultramarathonien, se vante à des amis qu’il aurait pu parcourir au moins 100 miles (160 km) en deux jours et demi d’évasion. L’idée lui trotte dans la tête et c’est finalement en 1986 qu’il passe à l’action en créant le premier Barkley 100. La volonté de l’organisateur est qu’à peine 1 % des participants puisse terminer le parcours. Il établit donc des règles excessivement difficiles. 

Le parcours consiste en cinq boucles de 32 kilomètres qui doivent être parcourues en moins de 60 heures. Douze heures par boucle maximum! On y retrouve près de 20 000 mètres de dénivelé positif et négatif. Rien que ça! Oubliez les beaux sentiers clairement balisés. Il n’y en a pas. Les coureurs peuvent utiliser une boussole et une carte de la forêt sur laquelle sont inscrits les points de passages obligatoires. Cette carte est « scotché » à la dernière minute sur une table à pique nique au départ. Le GPS est strictement interdit. 

Lorsqu’ils arrivent aux points de contrôle, les coureurs doivent arracher la page d’un livre caché là et qui correspond à leur numéro de dossard. Si un coureur termine une boucle sans toutes les pages associées à son numéro de dossard, il est éliminé. 

Le Barkley 100

Seuls 14 coureurs ont réussi à terminer le parcours du Barkley 100
Il n’existe aucun point de ravitaillement mis à part deux grosses bouteilles d’eau déposées sur le parcours par Cantrell pour ceux qui souhaitent remplir leurs gourdes. Les participants doivent être en parfaite autonomie. Il n’y a pas d’unité d’intervention médicale. La météo y est presque toujours extrême et changeante lorsque la course se déroule à la fin mars ou début avril. Il fait froid... ou chaud, il pleut, il neige et le vent souffle. 

Si prendre part au Barkley 100 est difficile, ce l’est tout autant pour s’inscrire. Ceux qui se croient suffisamment en forme pour le faire doivent d’abord trouver l’adresse postale secrète de Cantrell et lui écrire une longue lettre dans laquelle ils expliquent « Pourquoi je devrais être autorisé à courir à Barkley ». 

À peine 40 coureurs sont choisis par l’organisateur en se basant sur des critères qui lui appartiennent. Enfin, les heureux, ou malheureux, élus reçoivent une lettre de Cantrell qui débute ainsi : « J’ai le regret de vous informer que votre nom a été sélectionné pour le Barkley 100. Je vous préviens que votre périple ne sera qu’une longue traversée de souffrances horribles qui vous mènera à l’échec et l’humiliation car vous ne terminerez pas. » Vous imaginez la suite de cette missive qui se termine par « Que Dieu vous vous protège! »

Oh et les frais d’inscriptions? Oui, il y en a. Ils s’élèvent à 1,60$. 

Le Saint Graal de l'ultra

Des milliers de coureurs de partout à travers la planète essaient de s’inscrire, mais 40, pas un de plus, sont invités. Ils doivent se rendre à l’entrée du parc Frozen Head à la date inscrite dans la lettre d’acceptation et attendre. Attendre car ils ignorent l’heure du départ.  

Gary Cantrell

Gary Cantrell donne le coup d'envoi au Barkley 100 en soufflant dans un clairon
Seul Gary Cantrell connaît l’heure de ce départ puisqu’il décide de tout. Habituellement, c’est entre minuit et midi. Il souffle alors dans un vieux clairon pour prévenir les coureurs que le départ approche. Et comme rien n’est pareil à aucune autre course, c’est lorsqu’il s’allume une cigarette que les participants peuvent finalement commencer leur infernal parcours.

Ce parcours, qui change pratiquement à chaque année, est constitué d'une boucle de 32 kilomètres qu'ils doivent compléter à cinq reprises. Les boucles deux et quatre se font dans le sens inverse. Pour les rares coureurs qui parviennent à se rendre jusqu'à la cinquième boucle, on leur lasse le choix de la direction. 

Pour vous donner une bonne idée de la difficulté du trajet, sachez que Blake Wood l'a  terminé en 58 heures et 21 minutes en 2001. La même année, Il avait gagné le Rocky Raccoon 100 en 16 heures et le Hardrock 100 en 30 heures! On comprend mieux pourquoi il est vrai que, certaines années, aucun coureur ne termine le Barkley 100. En passant, ne cherchez pas le nom de Blake Wood sur la liste des gagnants à Barkley. Gary Cantrell l'a disqualifié car il avait dévié du parcours sur une centaine de mètres. Quand on vous dit qu'il ne veut pas de gagnants.!

Un Canadien à l'assaut

Des 40 coureurs qui ont participé à la trentième édition, au tout début du mois d'avril, 25 sont parvenus à entreprendre une seconde boucle et seulement trois ont réussi à compléter la quatrième. 

Gary Robbins

Gary Robbins
Ils n'étaient plus que deux coureurs lorsqu'est venu le temps d'entreprendre la dernière boucle de 32 kilomètres. L'Américain Jared Campbell et le Canadien Gary Robbins. Chacun partait dans la direction opposée. 

Robbins, un ultramarathonien de Vancouver, tentait de devenir le premier canadien de l'histoire à terminer le Barkley 100. Il pouvait compter sur les conseils de Campbell qui l'avait déjà fait à deux reprises. Mais pour la dernière boucle, il devait se débrouiller seul! 

Malheureusement pour notre représentant, ces derniers kilomètres furent pénibles. La fatigue, le manque de sommeil et une erreur de navigation coûteuse l'ont empêché de terminer. Ajoutez à cela des hallucinations et vous obtenez la déception de devoir abandonner près du but. 

De son côté, Jared Campbell est devenu le premier homme à compléter cette course infernale à trois reprises. Son chrono final : 59 heures et 30 minutes. 

Jamais une femme n'est parvenue à réussir le Barkley 100. Soulignons toutefois l'exploit de la canadienne Rhonda-Marie Avery qui est devenue la première handicapée visuelle à prendre le départ. Avec seulement 8 % de vision, elle a complété la première boucle. Un exploit. 

Maintenant que l'édition 2016, la trentième, est terminée, les aspirations des coureurs souhaitant se mesurer avec cette épreuve se portent vers 2017. Même si la date exacte n'est pas encore connue, ils doivent entreprendre la rédaction de leurs lettres de présentation pour convaincre Cantrell qu'ils méritent d'être choisis. Bien sûr, tout ça en vaudra la peine s'ils parviennent à trouver son adresse. Puis, l'attente. Une attente qui peut durer des jours, des semaines ou des mois. Et si tout se passe bien, s'ils ont su toucher le cœur insondable d'un vieux type barbu pour le moins original, ils recevront alors une réponse débutant par cette phrase qu'ils souhaitent tous lire :« J'ai le regret de vous annoncer que votre nom a été sélectionné pour le Barkley 100. »

Ils ne seront que 40. Qu'ils se préparent à souffrir!